Étude du Misanthrope de Molière : de l’art de se comporter en société

, par Gaëlle Chauvineau

Cet article renvoie à d’anciens programmes ; néanmoins, la démarche pédagogique exposée conserve tout son intérêt.

travail proposé par Erzsebet Vizy

Présentation de la séquence : Niveau : classe de seconde. Objets d’étude : le théâtre ; l’éloge et le blâme ; l’argumentation.

La séquence présentée permet d’aborder une grande comédie de Molière en classe de seconde en privilégiant l’étude de courts extraits et de quelques scènes, accompagnée d’une lecture cursive de la pièce.
Enjeux de la séquence :
Entrer dans cette œuvre littéraire du XVIIème siècle par de courts extraits offre le moyen de contourner la difficulté à lire ce texte éprouvée par les élèves de seconde, et cependant de construire une vision cohérente de la pièce.
La richesse des questions que pose l’œuvre et l’adjonction de l’étude de quelques portraits littéraires ou picturaux construisent un premier tableau du classicisme et des codes mondains du XVIIéme siècle.
Enfin, le personnage d’Alceste concentre en lui les éléments d’une réflexion sur le comportement à adopter en société dont les élèves peuvent tirer parti pour eux-mêmes.

Pourquoi ai-je choisi ce texte ? :

1. Dans le but de former leur jugement, leur esprit : La difficulté que rencontrent souvent les élèves de seconde à accepter les règles de vie commune au lycée, et en particulier certaines règles de civilité, m’a amenée à aborder ces questions par le détour d’une œuvre littéraire qui s’y prête tout particulièrement. La mise à distance des problèmes abordés et leur mise en scène théâtrale facilitent l’émergence d’une réflexion sur le bon comportement en société, sur la nécessité des règles de civilité qui permettent de donner existence à l’autre (l’indifférence et le refus de dire bonjour, par exemple, constituent des formes de violence symbolique), et plus généralement sur le respect des règles et des lois qui régissent toute société et assurent la cohésion du groupe (y compris dans le cadre scolaire).
2. Dans le but de construire leur culture : L’étude du Misanthrope offre une entrée dans l’univers littéraire et esthétique du XVIIème siècle. Elle conduit à la découverte du portrait littéraire mais aussi de l’art du portrait pictural. Menée sur deux plans, elle aborde l’esthétique classique parallèlement à la question des usages mondains et de l’art de la conversation de ce siècle. Là encore, la confrontation entre l’univers culturel de la pièce et les réactions et les goûts (esthétiques) des élèves engage un débat intéressant sur culture et diversité culturelle.
3. Dans la perspective des programmes : Cette étude permet aussi de croiser plusieurs objets d’étude.

Les activités/ la séquence

Présentation des séances, des objectifs et des activités :

Démarches :

Art et Histoire des arts :

L’étude des portraits dans Le Misanthrope s’inscrit dans le champ de la formation artistique et culturelle des lycéens en ce qu’elle fait entrer en dialogue littérature, art du spectacle et arts visuels, et qu’elle fait apparaître des interrogations où le thème de l’esthétique croise ceux de l’appartenance à un groupe social et de l’identité culturelle. Le portrait est ici abordé à la fois comme genre littéraire et artistique autonome, comme témoignage d’un art de la conversation au XVIIème siècle et comme illustration du débat développé dans la pièce sur l’attitude à adopter en société vis-à-vis des autres. L’étude de quelques portraits officiels ou d’apparat, accompagnant celle de la pièce, met en évidence une communauté historique et culturelle à travers la mise en scène du sujet, les costumes d’apparat et les objets symboliques. Transposées à la pièce de Molière, ces observations amènent le spectateur / lecteur à opérer les mêmes interprétations pour identifier l’univers esthétique et culturel représenté. La distance pour l’élève est d’autant plus grande à franchir que la pièce elle-même joue sur la rencontre de références culturelles différentes. Le ridicule d’Alceste, que les élèves ont du mal à percevoir, était sans doute bien plus évident pour le spectateur contemporain de Molière, qui mesurait l’écart entre ses goûts et ceux du personnage perceptibles à la scène 2 de l’acte I : ce n’est pas le sonnet d’Oronte qui est ridicule mais la chanson d’Alceste, par son absence de raffinement et son allure démodée. Une telle approche offre la possibilité de situer les repérages des périodes historiques et culturelles (ou littéraires) dans une perspective plus large faisant intervenir la notion de relativité des goûts culturels et permettant d’introduire et de justifier les codes esthétiques classiques. De telles considérations peuvent préparer à des séquences ultérieures, sur la tragédie par exemple. La pièce étudiée fait donc ici percevoir aux élèves que leur propre réticence voire leur rejet vis-à-vis d’un texte ancien tient de la même manière de l’écart culturel qui les en sépare. Elle peut aussi déboucher sur une réflexion, à partir de leur expérience personnelle, sur la diversité culturelle et le lien déterminant qui unit un groupe ou une société et sa culture, au sens large (ensemble d’attitudes, de références, d’usages, de mots…)

Attitude / Engagement :

Le débat opposant Alceste à Philinte à l’acte I scène 1 est ici le point de départ engageant les élèves à se questionner sur leur comportement personnel. Le sujet en est facilement transposable dans leur univers quotidien, et la mise à l’épreuve des deux thèses opposées réalisable à partir de situations concrètes relevant de l’expérience de chacun : faut-il ou non dire bonjour à sa boulangère ? à un voisin avec lequel on n’entretient pas de relation suivie ? au concierge de son lycée ? à ses professeurs ?... Peut-on communiquer franchement tout ce que l’on pense de ses camarades de classe ? de ses professeurs ? à qui ? sur quel support ?... La lecture du Misanthrope centrée sur le repérage et l’observation des différents portraits contenus dans la pièce vient ensuite vérifier les différentes conclusions de ces premiers échanges autour des idées des personnages. L’échec d’Alceste et son exclusion volontaire du groupe signalent les limites de son comportement et obligent au contraire à requalifier ce que les élèves désignent spontanément comme l’hypocrisie de Philinte. La civilité et même les compliments d’usage employés par Oronte (I, 2) et qui font rire de lui en raison de leur excès et de la naïve confiance de leur auteur (c’est bien parce qu’il attend en retour les mêmes compliments qu’Oronte en accable Alceste) sont autant d’éléments composant un art de se comporter en société. L’éclatement final du salon de Célimène vient confirmer la nécessité de ces usages ; c’est pour l’avoir négligé que Célimène se voit privée de la compagnie de sa petite cour : lire des portraits satiriques d’absents, qui d’ailleurs, par cet usage littéraire mondain, se réduisent à des caractères humains généraux (II,4), relève bien d’une pratique culturelle soudant le groupe autour de l’hôtesse qui reçoit, alors que faire inconsidérément la même chose au sujet de ses invités, ce que révèle la scène des billets lus par Acaste et Clitandre (V, 4), entraîne la désagrégation du même groupe. Le va-et-vient établi entre la pièce et l’univers des élèves favorise ici non seulement la lecture de l’œuvre mais aussi une réelle possibilité de se l’approprier.

Choix :

Cette séquence repose sur le choix de lire la pièce de Molière autrement qu’une pièce de théâtre : en privilégiant l’étude des portraits présents dans la pièce on accepte de « négliger » la structure de la comédie, la fonction des personnages… On admet donc aussi que les élèves de seconde concernés par l’étude comblent les « vides » entre les extraits étudiés par une lecture cursive de l’œuvre, voire, si les difficultés rencontrées par certains le nécessitent, en ayant recours à des résumés. L’essentiel est ici de parvenir malgré tout à une véritable réflexion sur la société du XVIIème siècle mise en relation avec les usages actuels, et sur les arts et l’esthétique classiques. La comédie ne sera sans doute pas exploitée dans les détails mais bénéficiera d’une mise en perspective culturelle plus large et entrera en résonance avec certaines questions pouvant concerner les lycéens d’aujourd’hui.

Espace :

Le Misanthrope offre aux élèves plusieurs espaces à explorer. La scène théâtrale est le lieu de débats transposables dans l’espace de la classe. Elle offre aussi, en réduction et à travers la conversation qui s’y déroule et l’usage des portraits, une certaine vision de la société mondaine ou de la cour sous Louis XIV. Dans la séquence, on procède donc constamment par élargissement du cadre d’une comédie à son contexte historique et culturel (en s’aidant pour cela de dessins et de peintures) mais aussi par déplacement du XVIIème vers le XXIème siècle. Ce qui se joue sur scène fait réfléchir à ce qui se joue dans toute société, y compris dans la salle de classe. Et l’usage des portraits littéraires, illustrant pratiques mondaines et esthétique classique, devient le moyen d’accès à la lecture et à l’analyse d’un texte littéraire ancien qui semble au départ fort éloigné des élèves.

Bibliographie :

Documents iconographiques : les tableaux étudiés figurent dans le manuel Littérature, des textes aux séquences, Hélène Sabbah, Hatier, 2004.

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