Entrer dans la lecture des Vies Minuscules de Pierre Michon par l’écriture créative

, par BACH Ariane, Lycée Jean-Jacques Rousseau, Sarcelles

Comment faire lire Vies Minuscules de Pierre Michon en classe de Première ? Une entrée originale dans le texte par l’écriture créative.

Le texte.

Cet ouvrage majeur de Pierre Michon est son premier livre, qu’il a publié à l’âge de 37 ans. L’auteur y met en scène plusieurs personnages croisés au cours de son existence avant l’écriture du livre, comme sa grand-mère, deux frères qui furent ses camarades de collège, sa sœur morte enfant... Mais à travers ces « vies minuscules », c’est bien son propre portrait d’auteur qu’il dresse en creux, racontant en filigrane le parcours de sa venue à l’écriture. Le style est touffu, très imagé, et émaillé de nombreuses références littéraires. À première lecture, il paraît vraiment difficile à aborder avec une classe de lycée.

Pierre Michon par Jean-Luc Bertini (www.jeanlucbertini.com)

Le partenariat

Le travail s’est effectué en partenariat avec un critique à La Quinzaine littéraire, Hugo Pradelle. Il était convaincu que les errances du jeune Pierre Michon, et le récit de ses expériences intimes de jeunesse mises en regard avec la vie des gens qui l’avaient marqué en tant qu’enfant ou jeune adulte, ne pouvaient que parler à des jeunes de 16 ou 17 ans.

La proposition de travail

Pour entrer dans ce texte, Hugo Pradelle a proposé de faire passer les élèves par l’écriture créative. L’idée était de leur demander de se mettre dans la posture de l’auteur, de s’approprier sa démarche, avant de revenir à l’oeuvre. Nous avons donc demandé aux élèves de rédiger eux-mêmes une « vie minuscule », celle d’un proche, d’un ami, d’un personnage important dans leur vie personnelle, tout en se mettant en scène indirectement dans leur récit, en montrant l’influence que cette personne avait eu sur leurs choix de vie, la construction de leur personnalité.

Une telle proposition d’écriture était profondément intime, inhabituelle au regard des types d’écrits qui sont demandés à l’école habituellement. Venant d’un critique littéraire professionnel en revanche, l’adhésion a été immédiate, les élèves ont eu à cœur de se conformer à des exigences différentes.

Les étapes

Hugo Pradelle est intervenu au cours de 3 séances de 2 heures, espacées de 15 jours à chaque fois.


Séance 1. Rencontre du texte, rencontre avec un critique

D’un commun accord, nous avions décidé avec le critique de ne faire lire qu’une partie de l’oeuvre aux élèves, car la lecture était vraiment ardue. Chacun s’est vu attribuer individuellement son chapitre, sa vie minuscule. Comme les chapitres traitent d’un personnage différent à chaque fois, il était possible de procéder à ce découpage, qui avait le défaut de faire perdre la dynamique biographique du parcours du narrateur au fil de l’ouvrage, mais l’avantage de rendre l’effort de lecture acceptable.
Comme nous l’avions prévu, les élèves ont été effrayés par l’oeuvre. Ils ont assuré à Hugo lors de sa première intervention qu’ils n’avaient « rien compris ». Ce qui était faux, naturellement. Le critique les a aidés à saisir les enjeux de l’oeuvre au cours d’une conversation libre, d’un échange dynamique sur les éléments qu’ils avaient, en fait, repérés à leur insu.
La séance s’est terminée par la proposition d’écriture du critique : écrire sa propre vie minuscule, en choisissant une personne déterminante dans la vie de chacun, et se mettre en scène indirectement dans ce récit.

Séance 2. Partage des textes

Les élèves ont tous souhaité lire leur texte (ils n’y étaient aucunement obligés, dans la mesure où les productions étaient profondément intimes). L’expérience a été humainement très forte tant certaines histoires étaient bouleversantes. Les lectures ont eu lieu dans un esprit de confiance et de bienveillance. Le critique et le professeur ont joué le jeu en proposant leurs propres vies minuscules pour contribuer installer à ce climat. Hugo a alors fait des commentaires sur l’écriture des élèves. Chacun est reparti avec des éléments d’amélioration stylistique, et des perspectives de réécriture.

Séance 3. Lecture des réécritures

Lors de la troisième séance, les élèves ont lu leurs réécritures, et nous avons tous constaté qu’ils avaient considérablement amélioré leurs histoires pour la grande majorité d’entre eux. Il leur a été parfois difficile de retravailler un matériau intime, certains ont ressenti une impossibilité à changer des détails dont ils avaient pourtant conscience qu’ils n’étaient pas très bien écrits. Ils étaient tiraillés entre la volonté d’être fidèles à la vie de la personne dont ils relataient l’existence et le désir de produire des textes meilleurs. La distanciation nécessaire qu’implique l’acte d’écrire leur paraissait une trahison au regard de la réalité dont ils étaient devenus dépositaires. Bref, ils faisaient l’expérience de ce qu’un biographe peut ressentir lorsqu’il compose son texte. Une jeune fille a même refusé catégoriquement de retoucher la vie absolument tragique de sa mère et sa réécriture s’est transformée en une sorte de conte très éloigné de son texte original mettant en scène ses états d’âme à elle, mais de façon complètement métaphorique. Son deuxième texte n’avait plus rien à voir avec le premier. Elle a eu conscience de ne pas respecter la contrainte, mais une fois encore, elle a expérimenté personnellement la difficulté de la démarche de Pierre Michon.

Séance 4. Le retour au texte de Pierre Michon

Le critique Hugo Pradelle nous a ensuite quittés.
Dans le cadre du cours de français, nous sommes alors revenus aux Vies minuscules de Pierre Michon, afin d’en proposer une explication plus classique. Le style de l’auteur était toujours aussi exigeant, le texte comprenant de très nombreuses références littéraires ou culturelles à élucider, des phrases longues dont la syntaxe n’est pas toujours aisée à saisir.
Cependant il a été très facile pour le professeur de conduire ces explications, dans la mesure où les enjeux de l’oeuvre étaient désormais clairs pour les élèves. Toutes les difficultés textuelles étaient maintenant lues à travers le prisme de l’expérience d’écriture qui avait été la leur.

L’apport du travail en partenariat

L’écriture créative, à la façon d’un auteur, est un type d’écriture peu pratiqué dans le cadre scolaire. L’intervention d’Hugo Pradelle, critique et écrivain, a été nécessaire pour se lancer dans une telle démarche qui permettrait une entrée originale dans le texte, là où nous, enseignants, pensons habituellement que le commentaire littéraire est la seule manière de dévoiler le sens profond d’une oeuvre.
Par ailleurs le substrat intime qu’il a demandé aux élèves d’utiliser m’aurait paru difficile à solliciter dans le cadre scolaire classique. Mais le regard extérieur du critique a permis de créer ce qui, en plus de rendre accessible une œuvre véritablement exigeante, a été une très belle expérience collective.

Témoignages d’élèves

Laurie

"Hugo était très sympathique et m’a beaucoup apporté pour améliorer mon deuxième essai. Il m’a donné des indices pour refaire mon début d’histoire et aussi la fin.

Ce que j’ai changé dans mon histoire : j’ai changé le début, j’ai essayé de donner plus de précisions et de descriptions, mais je n’ai pas réussi à bien refaire la fin, elle ressemble beaucoup à une morale mais je n’arrive pas à la modifier."

Dounia

"J’ai tout changé dans mon histoire hormis une phrase qui est « je mène une double vie : la mienne et l’image que je donne ». J’ai tout changé car j’ai écrit une première histoire, l’histoire de ma mère, d’après ce que les gens de ma famille et elle m’ont raconté. Cette première écriture m’avait énormément affectée, j’étais incapable de reprendre cette histoire, maintenant que ma souffrance était écrite je ne voulais pas y retoucher. Alors j’ai décidé de recréer une nouvelle histoire, la vie de Marc. Un personnage inventé ...

Sans le devoir d’Hugo je n’aurais jamais été capable d’écrire une souffrance et grâce à ça j’ai pu recréer une nouvelle que j’ai pris du plaisir à écrire. Même si c’est inventé, ça dit des choses sur moi."

Anna

"Tout d’abord je tiens à dire qu’Hugo n’a pas seulement changé ma vision de l’écriture mais aussi de la lecture. Il nous a fait comprendre comment le fait de parler de quelqu’un d’autre tout en parlant de nous était une tâche très difficile mais faisable.
Personnellement j’aurai beaucoup plus de facilité à aborder une œuvre littéraire sans me demander « pourquoi tu lis ça alors que tu ne comprends absolument rien ? ». Pierre Michon a réussi à me toucher parce que parler de nous ce n’est pas aussi facile, s’ouvrir à ses lecteurs de cette façon reste quand même remarquable à mes yeux. De plus, sur mon style d’écriture, j’ai réussi à m’exprimer plus en faisant cette fois des phrases courtes, plus claires et je trouve que cela représente pas mal d’efforts."

Comment mettre en place un partenariat ?

Cette expérience a permis de faire entrer les élèves dans la lecture d’un texte exigeant par le détour de l’ecriture créative. Le travail en partenariat à été fondamental dans cette approche.

Pour mettre en place un partenariat avec un écrivain, un critique ou un musée, il suffit de s’adresser à la DAAC (Délégation Académique à l’Action Culturelle). Les délégués de la DAAC ont à coeur mettre les enseignants en relation avec l’artiste qui correspond au projet pédagogique envisagé. On peut également leur demander la marche à suivre pour obtenir un financement, via une classe PEAC (Projet d’Éducation Artistique et Culturelle).

Penser aussi à s’adresser à la MÉL (Maison des Écrivains et de la Littérature).

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