Lire le Misanthrope de Molière en seconde Comment aider les élèves à vaincre les résistances que leur oppose la langue du XVIIème ?

, par Daphné Jacamon

Projet

Si la quête du sens reste bien au coeur des enjeux de l’enseignement des lettres, force est de constater que la langue des textes classiques présente pour certains élèves de seconde des difficultés telles qu’elles leur font perdre de vue le sens du texte comme celui de ses effets. Expérience bien décourageante pour eux puisqu’elle leur fait manquer une rencontre singulière avec le texte, cette résistance les conduit en désespoir de cause à se satisfaire au mieux d’un piètre résumé trouvé sur internet quand ils n’abandonnent pas tout simplement l’idée même de comprendre de quoi il retourne. S’instaure alors avec ces élèves un terrible malentendu, eux qui en toute bonne conscience cherchent le moyen de résoudre la question évoquée non sans ironie par Pierre Bayard dans son livre Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Pour ces élèves soucieux de bien faire, il ne leur reste d’autres recours que celui d’ériger la parole du professeur en dogme, vérité incontestable certes mais non vérifiable alors même que la matière même du discours enseignant n’a pas d’autres prétentions que d’accompagner l’acte singulier de lecture, de compréhension et d’interprétation d’un texte aussi déroutant soit-il.
Le numérique ouvre heureusement des voies nouvelles pour permettre aux élèves les plus faibles d’accéder par eux-mêmes au texte. L’existence de logiciels d’annotation collaborative par exemple qui rendent possible une lecture collective « en réseau » permet de lutter contre l’isolement que crée l’incompréhension et favorise l’émergence des premières interprétations. Dans le cadre d’une séquence sur le Misanthrope de Molière, on propose donc d’expérimenter une lecture collaborative grâce au logiciel libre crocodoc présenté par Olivier Godet lors de la journée du « Rendez-vous des Lettres » consacré aux pratiques de lecture https://lettres.ac-versailles.fr/spip.php?breve50. (avril 2014)

Démarche et activités

  • Travail préparatoire

On télécharge sur le logiciel « crocodoc » la pièce du Misanthrope en format pdf. A l’aide de la fonction « surligner » (highlight dans le logiciel) on crée un parcours de lecture spécifique pour les élèves en difficulté. On met ainsi l’accent sur les répliques essentielles de la pièce tout en laissant la possibilité aux élèves de lire l’ensemble du texte ce que ne permettrait pas une version abrégée de l’oeuvre.

  • Pour introduire la lecture de l’oeuvre

Dans son ouvrage, Lectures cursives, quel accompagnement ? (Delagrave,2005) Annie Rouxel rappelle que « la résistance des lycéens à la lecture et à l’effort qu’elle suppose est encore exacerbée quand il s’agit de classiques, comme si ces textes cristallisaient toutes les difficultés du littéraire. (...) La question de la motivation devient donc essentielle pour leur permettre d’accéder à ces textes. » On choisit donc d’associer dès le début de la séquence la lecture du texte au jeu dramatique :

  • Déroulement de la séance « créer sa propre édition critique de la pièce » :

La séance se déroule en salle multimédia. Les élèves se connectent sur le site « crocodoc » grâce à l’url transmis par l’enseignant et découvrent texte et outils d’annotation. On leur demande soit d’interroger le sens du texte en soulignant un mot, une expression, un vers dont ils ne comprennent pas le sens, soit de lever ces interrogations en explicitant grâce à la fonction commentaire le sens de ce qui a été souligné par un camarade. Toutes ces interventions sont anonymes, seules celles du professeur sont signalées comme telles.

Au cours de cette lecture et quand ils le souhaitent, les élèves notent sur un cahier personnel ce qu’ils pensent des personnages et des situations afin de ne pas perdre de vue une des finalités de cette lecture.

Au terme de la séance, on choisit parmi les difficultés soulevées une liste de mots ou expressions dont le sens est clairement explicité dans le document d’étude. On insiste sur les mots qui présentent un écart de sens par rapport aux acceptions qu’ils ont aujourd’hui comme « entendre », « chagrins », « caresses », « embrassements », « commerce », « se moquer ». On ajoute à cette liste quelques mots ou expressions courantes au XVIIème comme « avoir pour agréable », « se faire grâce », « faquin », « vices du temps », « bienséance », « dessein », « courroux », « morbleu » par exemple. Ces mots doivent être appris en contexte et s’ajouteront à ceux des autres actes. Il est important que les élèves ne se contentent pas de comprendre le mot au moment de la lecture mais qu’ils fassent l’effort d’apprendre le vocabulaire qui leur pose des difficultés, ceci pour qu’ils puissent le réinvestir lorsqu’ils seront confrontés à d’autres textes du XVIIème. On a démontré en effet en sciences cognitives qu’une connaissance devait être mémorisée pour être réinvestie surtout lorsqu’elle portait sur des questions de vocabulaire et qu’au delà de deux faiblesses de sens dans une phrase on rencontre inévitablement une difficulté de compréhension. Ce travail d’apprentissage fastidieux mais nécessaire familiarise durablement l’élève avec la langue classique et permet de favoriser autant son autonomie que sa créativité.

  • Lecture des autres actes

L’expérience prouve que les élèves les plus en difficulté lisent un acte en une heure mais on peut dès le deuxième ou le troisième acte proposer cette séance en travail personnel et reprendre au début du cours suivant les principales difficultés rencontrées.

Bilan de l’expérience

Ce dispositif n’élude pas toutes les difficultés de lecture, loin s’en faut. Mais il permet de rendre la lecture plus active, plus personnelle et pourtant moins solitaire. C’est ce qu’a révélé l’exercice de mise en scène pratiqué en fin de séquence, plusieurs élèves en difficulté sont parvenus en effet, tant bien que mal à s’approprier un texte qu’ils jugeaient auparavant trop difficile pour eux.

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