Rendre sensibles les processus linguistiques par le numérique « substitution, effacement, déplacement et permutation »

, par Olivier Godet

Le TNI est souvent pensé dans et à travers son utilisation en Histoire des Arts ou en lecture. Cependant, les opérations qu’il permet s’avèrent d’une grande efficacité en langue, en ce sens qu’elles mettent en évidence des processus linguistiques complexes. Partant des réflexions syntaxiques de Martin RIEGEL, cet article se propose de donner des exemples de manipulations.

« Les manipulations que le linguiste effectue à tous les niveaux de son analyse pour mettre en évidence des propriétés nouvelles ou pour tester la validité d’une hypothèse se prêtent à des exploitations pédagogiques simples et efficaces dans tous les domaines de l’enseignement de la grammaire. Elles se ramènent aux quatre opérations de base que sont la substitution, l’effacement, le déplacement et la permutation, et aux procédures complexes qui les combinent diversement. » [1]

Partant des travaux en grammaire universitaire, le professeur de lettres a pour rôle de penser la façon de transmettre les savoirs à ses élèves. Dans cette perspective, le Tableau Numérique Interactif, permet de mettre en valeur de façon aussi dynamique qu’interactive les mécanismes syntaxiques qui régissent la phrase et permettent l’identification de ses syntagmes.

Ces mécanismes, mis en évidence par les translations proposées par le logiciel, accompagnent le travail d’apprentissage de la langue. En effet, le cheminement intellectuel que nécessite la grammaire est rendu visible par les opérations projetées au tableau. Au-delà de la dimension proprement spectaculaire inhérente à l’outil, le fait d’amener les élèves à réaliser eux-mêmes ces opérations permet de compenser les inégalités en favorisant le geste de chacun, mais aussi d’aider à la mémorisation en faisant au tableau, ce qui participe à l’efficacité des apprentissages comme l’a démontré Edgar DALE

Cône des apprentissages d’Edgar DALE

L’exploitation du TNI rend sensible la plasticité de la syntaxe : le cheminement intellectuel est concrétisé sous les yeux des élèves.

Le déplacement et la permutation

« Déplacer une unité dans une construction donnée (phrase ou syntagme), c’est modifier l’ordre linéaire de cette construction. Le déplacement de l’élément D dans la séquence ABCDEF produit de nouvelles séquences telles que DABCEF, ABDCEF et ABCEFD.  [2] »

Ce type de manipulation peut être exploité à plusieurs niveaux : d’une part, sur le plan grammatical, il permet de comprendre qu’une phrase obéit à un ordre précis de ses constituants. Une fois le corpus restreint intégré au paperboard, les manipulations permettent de mettre en évidence les liens entre syntagmes, et de créer de nouvelles séquences, dont la validité est soumise à la classe : progressivement, les élèves intègrent le principe de fonction syntaxique et d’énoncé agrammatical.

« L’opération de déplacement permet de tester la mobilité des unités linguistiques de tout niveau. La mobilité et la non-mobilité sont des propriétés linguistiques qui caractérisent certaines unités et surtout la place (DISTRIBUTION) que ces unités occupent dans la structure de la phrase ou pour parler un autre langage le rôle qu’elles y jouent (FONCTION). [3] »

D’autre part, sur le plan stylistique cette fois, on attirera l’attention de la classe -en fonction de son niveau ou de l’objet visé- sur le fait que le bouleversement de l’ordre de certains syntagme produit un changement dans la perception du procès. Par exemple, l’accumulation des compléments circonstanciels à l’attaque produit un infléchissement du sens, jouant sur la cadence de la phrase et donc sur l’effet qu’elle produit.

L’effacement et l’addition

« L’effacement consiste à supprimer un ou plusieurs éléments dans une séquence donnée. (...) L’effacement implique l’opération inverse dite d’addition, qui consiste à insérer une nouvelle unité dans une séquence donnée. (...) Si un élément d’une phrase peut être effacé, c’est qu’il joue le rôle d’un constituant facultatif ; inversement, si son effacement rend la phrase agrammaticale, la conclusion s’impose qu’il s’agit d’un élément nécessaire sans lequel la construction d’ensemble qu’est une phrase deviendrait boiteuse."  [4] »

Là encore, la projection des manipulations réalisées sur la phrase permet de rendre particulièrement clair le discours grammatical : il convient à chaque fois de tester la grammaticalité de l’énoncé produit, afin de faire émerger chez les élèves les notions visées. Par exemple, celle de phrase minimale apparaît avec évidence dans l’exercice mené.

« L’organisation hiérarchique de la phrase et, plus particulièrement des ajouts, est mise en évidence et systématisée par l’analyse en constituants immédiats. Elle apparaît non moins clairement au terme de l’expérience qui consiste d’abord à réduire une phrase à sa forme minimale en effectuant tous les effacements possibles, puis à la reconstituer au moyen d’additions successives. [5] »

L’organisation syntaxique est ainsi mise en lumière dans notre exemple extrait des premières lignes de L’Homme qui plantait des arbres de Jean GIONO. En effet, une phrase possède plusieurs niveaux d’analyse, au sein desquels il convient de mener les opérations en question, comme le rappelle encore Martin RIEGEL :

« Dans le syntagme nominal le tout petit chat, le syntagme tout petit est un ajout du noyau le... chat, mais à l’intérieur du syntagme tout petit, l’adverbe tout est l’ajout du noyau petit. Il existe donc une hiérarchie d’ajouts, puisqu’un ajout peut lui-même se décomposer en un noyau et un ou plusieurs ajouts, et ainsi de suite.  [6] »

A partir de ces considérations, on peut à la fois identifier la phrase minimale, mais également ses constituants, dont les « noyaux » (course dans notre exemple) doivent faire l’objet d’une nouvelle étude, à part de celle de la phrase dans son ensemble. Dès lors, la suppression de syntagmes de niveau inférieur (constituants du GN) peut avoir une incidence sémantique : si « longue » peut disparaître sans problème, l’effacement de « à pied » entraînerait une ambiguité (course prendrait alors son sens de trajet ayant un but précis, et non plus d’activité physique). Ainsi, les notions de complément déterminatif et d’épithète deviennent plus assimilables en ce sens que les élèves intègrent le fait qu’ils se rattachent au « noyau » du GN, tout en comprenant leur incidence sur le sens de l’énoncé.

Ce travail en langue, grâce au TNI, peut et doit éclairer l’étude du système linguistique. De fait, les « manipulations » dont traite Martin RIEGEL prennent grâce à l’outil un relief permettant de rendre sensible à tous les opérations en question.

Notes

[1Martin RIEGEL : Les opérations linguistiques de base (suite)
Le déplacement et la permutation -L’information grammaticale, 1983

[2ibid.

[3ibid.

[4Martin RIEGEL : Les opérations linguistiques de base (suite) : L’effacement et l’addition]- L’information grammaticale, 1983

[5ibid.

[6ibid.

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