Construire une culture commune lettres et sciences

, par Sophie Saulnier

Projet interdisciplinaire Lettres/physique dont l’objectif est de montrer à des élèves de classes scientifiques que Lettres et Sciences partagent les mêmes valeurs, voire les mêmes expériences.

Le contexte

Classe de 1ère S avec deux heures d’AP en interdisciplinarité Lettres/Physique/ HDA.

Objectif

En classe de 1ère S, on cherche à faire comprendre aux élèves que loin de s’opposer Lettres et Sciences partagent des problématiques et des valeurs communes. Une exposition photographique constituerait l’aboutissement de ce projet.

Le projet

S’il est mené sur les heures d’AP, le projet constitue aussi, pour les Lettres, le fil directeur de deux objets d’étude :

- l’argumentation : un corpus interroge la relation entre les sciences et les lettres. Textes étudiés : Rabelais, Pantagruel, la lettre de Gargantua à son fils ; La Fontaine, « Un animal dans la lune » ; Le chevalier de Jaucourt, article « Sciences » Encyclopédie ; Voltaire Micromégas.

- le roman : Échenoz, Des éclairs, dont le personnage principal est l’ingénieur Nikola Telsa. Cette « fiction sans scrupule biographique » permet

  1. d’interroger la figure du hors norme/génie incompris et inadapté aux réalités du monde,
  2. de se demander comment la fiction romanesque s’en empare et à quelles réalités du monde scientifique cette figure correspond
  3. et donc d’interroger le réel à travers la fiction.

Les étapes du travail

Trois d’entre elles sont liées à la progression du cours :
1. Peindre la lumière, en parallèle de la séquence sur l’argumentation :

. Lecture comparée d’un texte de Newton sur l’analyse spectrale de la lumière et d’un texte de Blaise Cendrars, Le Lotissement du ciel relatant l’expérience de Robert Delaunay pour confirmer son hypothèse du « contraste simultané ». Les élèves sont amenés à percevoir la similitude des démarches et à réfléchir à la notion d’expérimentation en sciences comme en art.


. Mise en pratique
En Physique, les élèves tentent l’expérience de Newton.

En Lettres, les élèves s’essayent à l’écriture créative par l’application sur la langue de la méthode de Robert Delaunay (voir en annexe l’explication de la démarche rédigée par une élève). On se sert de la série des Fenêtres de Robert Delaunay et de ses Tour Eiffel pour accompagner les trois étapes de cette écriture.


2. La photographie un médium entre sciences et arts, en transition entre l’argumentation et le roman :
Conférence de Lola Hakimian, photographe (partenariat avec la Maison du Geste et de l’Image). Une petite histoire de la photographie permet de montrer comment on passe de la photographie conçue comme technique documentant le réel, à la photographie le mettant en fiction.

3. Les géants de la science, ou comment sublimer la figure du scientifique, en parallèle de la séquence sur le roman

. Établissement d’un tableau comparatif : « Vie et œuvre de Nikola Telsa » (pris en charge par le professeur de Physique) / « Vie et œuvre de Grégor Telsa » (pris en charge par le professeur de Lettres)

. On s’interroge sur ce qui appartient au réel et ce qui appartient à la fiction. Y a-t-il vraiment écart ? S’il n’y a pas écart, alors comment l’écriture travaille-t-elle le réel et le rend-elle fictionnel ? L’étude de la vitesse du récit et de sa temporalité, les procédés de magnification et de dérision, les jeux sur les points de vue sont des pistes de recherche.

. Étude parallèle par le professeur de Physique et par le professeur de Lettres d’un passage du chapitre 11 consacré à une présentation-spectacle d’une expérience de Telsa.

. « Un géant de la science » : on demande aux élèves de réaliser un poster présentant un grand scientifique. Ce poster doit comporter un portrait photographique : à l’oral, l’élève doit expliquer son choix, analyser la photo, se demander en quoi ce portrait est celui d’un scientifique et ce qu’il révèle de l’image que l’on se fait du scientifique.

Le projet en lien avec l’orientation

Parallèlement le projet est lié à un travail sur l’orientation et la connaissance de soi. Les ateliers photographiques sont conduits par Lola Hackimian (photographe MGI) épaulée par les professeurs de Lettres et de Physique. Ce travail est scindé en trois moments répartis dans l’année et corrélé à une pratique de la photographie.

Séance 1. Autoportrait : « Qui suis-je ? » La séance de trois heures a été précédée d’une heure de réflexion (production écrite en réponse à la question « Qui suis-je ? ») et de l’analyse de différents autoportraits de peintres.

Séance 2. Autoportrait « Moi en géant de la science ». La séance de trois heures commence par l’analyse et le choix (éditing) des photos prises lors de l’atelier de la séance 1 ; les élèves expliquent leurs choix et explicitent l’image qu’ils ont voulu donner de leur personnalité. Pour les nouvelles prises de vue, on propose aux élèves de se représenter en « géant de la science » (insertion d’élève dans des photographies projetées sur écran, jeux d’ombres chinoises... )

Séance 3. Autoportrait : « Qui serai-je ? Autoportrait dans 10 ans » Les élèves se représentent dans leur futur métier. Ils doivent arriver avec une ébauche de leur projet (photo prise sur leur téléphone portable) et les accessoires nécessaires.

Séance 3bis. Photo collective : « Les géants de la fontaine ». Pastiche et détournement de la photo des nobélisés prise lors de la conférence de Solvay :

Alors que les plus grands scientifiques posent sagement comme pour une photo de classe, les élèves sont photographiés sur les gradins de la Fontaine des Innocents (Paris 75001), dans une tenue censée être excentrique comme pour caricaturer la représentation habituelle que l’on se fait du scientifique.

. Outils numériques

. En salle informatique : recherches documentaires sur Telsa, sur les métiers (orientation).

. Productions d’élèves : partage des documents sur Google doc.

. Visite du site web de la Fondation Cartier et visionnage d’extraits de l’exposition Mathématiques, un dépaysement soudain : interview de Cédric Villani https://www.youtube.com/watch?v=I1hN3ihK5lw , Hubert Reeves https://www.youtube.com/watch?v=gDcebdZg6AE , Nicole El Karoui https://www.youtube.com/watch?v=tpIeY2cZP2I , Jean-Pierre Bourguignon.

Les élèves réfléchissent sur le contenu (relation sciences et art) et sur la forme (manière dont le scientifique se met en scène lui-même en tant que scientifique).

. Manipulation d’appareils photos numériques professionnels, photos en studios ( éclairages, gélatine...).

. Initiation à Photoshop pour les retouches des autoportraits photographiques.

Bilan

. C’est l’idée d’exposition qui a posé problème dès le départ, certains élèves (surtout les filles) ne voulant pas exposer leur portrait. Pour que le travail puisse commencer nous avons dû nous engager à ce que les portraits ne soient vus qu’en interne dans le groupe classe.

. Un autre problème a été le peu d’intérêt des élèves pour le projet, à son début : il n’était pas question pour eux d’investir quelques minutes supplémentaires, en dehors de leur emploi du temps, pour un projet qui touchait l’art et les sciences. Il est néanmoins évident que cette résistance confirme la nécessité du projet.

Malgré tout, on peut dire que l’objectif a été atteint

- grâce à l’intervention d’une personnalité extérieure au contexte scolaire. La photographe a su faire produire aux élèves des photos de qualité, qualité qu’ils ont reconnue au point que les plus récalcitrantes des élèves ont accepté de faire figurer leur autoportrait dans l’exposition ;

- grâce à la diversité des exercices proposés et à la surprise qu’ils ont provoquée chez les élèves, au point qu’on a entendu certains dire « Je me souviendrai toute ma vie de cette journée » (journée du 7 avril) ;

- grâce à l’appui des TICE qui donnent plus d’autonomie aux élèves ;

- grâce à la longévité du projet qui a irrigué toute l’année en démontrant, par la pratique, que les sciences et la littérature partagent les mêmes valeurs et les mêmes expériences.

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