Etudier la figure du monstre au collège

, par Jean-François DRU

Le monstre : quelques pistes d’exploitation pédagogique dans les classes de collège

Introduction

Si l’on se réfère aux documents d’accompagnement des classes de collège, faire accéder nos élèves au plaisir de lire apparaît comme un véritable leitmotiv. Or, pour pouvoir accéder à ce plaisir, qui leur fait souvent cruellement défaut, ils devraient pouvoir s’approprier certaines figures afin d’établir des parallélismes qui les mèneraient à l’acquisition de référents culturels et esthétiques permettant une compréhension des textes et donc un accès à ce plaisir. La figure du monstre est l’un de ces types littéraires facilement abordables au collège et il existe de nombreuses œuvres, tant dans la littérature de référence que dans celle écrite pour la jeunesse, qui permettent des exploitations pédagogiques variées. L’objet de cette intervention n’est pas de proposer directement des séquences et des projets pédagogiques mais plutôt de faire état de ce que l’on peut étudier dans les classes de collège.

La classe de 6ème

La figure du monstre est fréquemment étudiée en classe de 6ème, dans la mesure où le programme comporte des genres dans lesquels elle apparaît de façon évidente.

Les textes de « référence »

Tout d’abord, les contes comportent de nombreuses figures monstrueuses. En effet, les contes de fées mettent fréquemment en scène des personnages tells que sorcières, ogres... On retrouve également la figure des monstres dans des contes d’autres cultures (les contes africains, les Mille et Une nuits). On peut également penser à exploiter les différents monstres dans les contes régionaux, chaque région possédant en quelque sorte « sa » créature. L’exemple le plus parlant serait la Bête du Gévaudan, mais bien d’autres régions ont tissé leurs contes autour de figures monstrueuses. Il serait intéressant dans une séquence sur le conte de choisir ces contes régionaux pour supports afin de comparer ces figures monstrueuses qui sont toujours la quête du héros ou bien un des opposants.

Bien d’autres textes étudiés en 6ème utilisent la même figure du monstre comme élément de la construction même du héros. Comment ne pas penser alors aux différents textes fondateurs évoqués dans les programmes ? :
 L’Odyssée
 L’Enéide
 La Bible
 Les Métamorphoses

Les figures monstrueuses y sont nombreuses et permettent de faire repérer aux élèves les caractéristiques évidentes de la monstruosité :
 le gigantisme : Polyphème
 l’hybridation : le Minotaure
 les autres aberrations de la nature qui créent la monstruosité.

Toutefois, en référence aux programmes, on peut évoquer d’autres pistes pédagogiques pour étudier ces monstres :
 une séquence de repérage du texte descriptif (portrait des monstres)
 une séquence de travail autour des ouvrages documentaires : dictionnaires et encyclopédies... (en lien avec le documentaliste) afin de définir les figures monstrueuses présentes dans ces textes, ce qui peut se coupler avec un travail sur l’image ( interdisciplinarité avec le collègue d’histoire : lecture des vases grecs ?)

Oeuvres de littérature pour la jeunesse

Parallèlement à ces textes « de référence », la figure du monstre comme élément opposé au héros et permettant sa mise en valeur apparaît dans de nombreuses œuvres de littérature pour la jeunesse. En effet, les auteurs y exploitent une figure qui plaît aux élèves (Ne sont-ils pas friands de la série Chair de Poule ?)

Récits mythologiques :

 Nathanaël Hawthorne, Le Minotaure
 Gabriel Aymé,, Les douze travaux d’Hercule

Récits fantastiques et d’aventures :

 L’Ile du crâne, Anthony Horowitz
 Un papa vraiment terrible, Ellen Conford (Livre de poche jeunesse)
 Ah ! Si j’étais un monstre !, Marie-Raymon Farré (Livre de poche jeunesse)
 Comment tuer un monstre ?, Sang de monstre, R.Stine (Bayard, coll. Chair de Poule)
 Bernard et le monstre, D.Mckee (Gallimard Jeunesse)
 Yann et le monstre marin, J.Boucher (Boréal)
 L’affaire du monstre, de E.Bobillo (Série « Zachary Holmes » : tome 1)
 Le monstre poilu et Le retour du monstre poilu, Henriette Bichonnier (Gallimard jeunesse)
 Le géant de Zéralda, Tomi Ungerer
 La bête du Gévaudan, José Féron Romano (Livre de poche jeunesse)
 Un monstre dans la vitrine, H.Misserly (L’école des Loisirs)
 Brrr, un monstre dans la chambre !, Brigitte Minne (Chantecler jeunesse)

Récits policiers :

 Le monstre, de Jonathan Kellerman (Le Seuil)

Contes et récits merveilleux :

 Deux-Pieds et son dragon, Paul Thiès (Livre de poche jeunesse)
 L’auvergne des monstres et des sorciers, Geneviève Saint-Martin (Edite)

Bandes Dessinées :

 KoupKoup, coiffeur de l’horreur, O’Grojnowski (Glenat - Bandes Dessinées)
 Hypocrite et le monstre du loch Ness, J.C Forest (L’association - Bandes Dessinées)

Recueils de poésie :

 Petites chimères et monstres biscornus, Thierry Lefèvre (Actes Sud Junior)

La figure métaphorique du monstre

Parallèlement à cette figure aspectuelle du monstre, il est également possible d’aborder en classe de 6ème la figure métaphorique du monstre. Là encore, nombreux sont les ouvrages à proposer des personnages qui relèvent de ce type par la grandeur de leur perversion. D’ailleurs le mot « monstre » est un de ceux qui vient automatiquement à la bouche des élèves pour les désigner.

Un exemple :
Le personnage de Mlle Legourdin dans Matilda de Roald Dahl, directrice d’école tyrannique et violente qui déteste les enfants et les martyrise. Elle a également dépossédé sa nièce de tous ses biens.
Rappelons que cette œuvre a été adaptée par Dany De Vito au cinéma. La monstruosité du personnage y est particulièrement bien rendue, ce qui laisse envisager des pistes pédagogiques intéressantes pour la classe de français.

On va même parfois jusqu’à une certaine parodie de la figure monstrueuse : le monstre qui a peur des humains et met en valeur le courage du héros.
 Bébé monstre (ed Galllimard)
 Les monstres et Cie nouveau film Disney
 Un monstre aux pois verts (Ed Calligram)
 Le monstre aux mille fesses
 Monstre à la gomme, Michel Perrin (Magnard Jeunesse)

Enfin, il semble intéressant en 6ème de montrer aux élèves que l’on peut dépasser le cliché qui associe quasi systématiquement le monstre au mal. Cela nous permet d’élargir la vision des élèves, tout en leur apprenant à ne pas envisager la littérature, quelle qu’en soit la forme, comme quelque chose de figé, dans laquelle un motif réapparaît toujours sous la même forme. En effet, certains exemples peuvent mettre en évidence le monstre comme figure du bien.

Quelques exemples :
 Eliott le dragon chez Walt Disney
 Le géant aux chaussettes rouges, le gentil petit diable dans les contes de Pierre Gripari
 Un monstre sympathique, la bande dessinée de Jean Tabary (Iznogoud n°26 - Tabary)

La classe de 5ème

Les figures du monstre

La classe de 5ème prolonge la figure du monstre, telle qu’elle est apparue en 6ème, dans la mesure où les héros que l’on fait découvrir à ce niveau sont également confrontés à des figures monstrueuses, faciles à exploiter à travers les différents éléments du programme :
 Approfondissement de l’étude du texte narratif
 Etude du discours descriptif (description des lieux, initiation au portrait)
 Récits de voyages avec réflexion sur autrui

Œuvres de référence envisageables :

 les contes : Mille et une nuits ( le géant noir dans le 3ième voyage de Sinbad)
 littérature médiévale : Chrétien de Troyes
+ le géant Harpin de la montagne dans Yvain ou le chevalier au Lion
+ le Morholt dans Tristan , Lai de Marie de France (le bisclavret)
 Récits de Marco Polo, extraits du journal de Christophe Colomb, Histoire d’un voyage fait en terre de Brésil de Jean de Léry

Oeuvres de la littérature de jeunesse :

Beaucoup d’œuvres pour la jeunesse exploitent également cette figure, mêlant parfois différents genres littéraires :
 le fantastique :
+ Harry Potter, J.K Rowling (4 volumes parus)
+ Le bon gros géant, Roald Dahl
+ La parade des monstres, Darren Shane (Pocket Junior)
 la science-fiction :
+ Niourk, Stefan Wull (Folio Junior)

Le monstre associé au bien :

On peut également approfondir la vision du monstre en tant que personnage associé au bien :
 Quasimodo dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo
 Les géants de Rabelais dans Pantagruel et Gargantua
 Les géants dans les bandes dessinées de Rosinski et Van Hamme, Thorgal

Figures monstrueuses et itinéraires de découverte

J’attire ici l’attention des collègues sur le fait que ces figures monstrueuses se trouveraient assez facilement au centre des Itinéraires de découverte applicables à la rentrée prochaine.

A titre d’exemple, j’évoquerai un travail mené dans le cadre des anciens travaux croisés, dans l’un des collèges où j’ai exercé.
Ce travail avait pour thème les cathédrales gothiques et plus particulièrement les figures de gargouilles, en tant que témoins d’une époque et de son système de pensée :
 Arts plastiques : sculpture (création de gargouilles) ;travail de dessin (fusain, peinture)
 Français : étude du roman La citadelle du vertige d’Alain Grousset (Roman d’aventures, historique, fantastique et Science-Fiction) ; mis en parallèle avec des extraits de Victor Hugo
 Histoire-Géographie : travail sur l’art Gothique ; notamment sur ce que symbolise la gargouille sur un édifice chrétien : l’évacuation du mal.
On montrera ainsi aux élèves l’aspect manichéen du monde chrétien : bien =beau ; mal = laid

La classe de 4ème

Appartenant au même cycle que la classe de 5ième, elle permet approfondissement de ces points du programme - description
 portrait
 approfondissement du récit
 notion de point de vue
 introduction à la subjectivité

Le récit fantastique

A travers le récit fantastique, que l’on peut facilement envisager avec différents objectifs, le monstre devient une figure que l’on peut très aisément étudier.

Voici quelques exemples de récits que l’on peut envisager en 4ème :
 Le masque de la mort rouge, Edgar Allan Poe
 Dracula, L’invité de Dracula, Bram Stoker
 Dr Jekyll et Mr Hyde, Stevenson
 La nuit des mutants, C.Lambert
 Frankestein, Mary Shelley
 Le K et autres nouvelles, Buzzati
 La mère aux monstres, Maupassant, l’héroïne étant une mère faisant en sorte de mettre au monde des enfants monstrueux
 L’homme au sable, Le comte Hippolyte, Hoffmann
 Celui d’autre part, Lovecraft
 Journal d’un monstre, Matheson

Il est alors facile de faire le parallèle avec l’iconogrophie :
 tableaux : Goya, Bruehel Les mendiants
 films : Wolf, Beowulf de Baker, King Kong, Frankenstein, Freaks de Browning, Elephantman

La science-fiction

La science-fiction est un autre genre dans lequel la figure monstrueuse est envisageable.

Quelques oeuvres :
 Farenheit 451, Bradbury (le monstre robot)
 Korok , nouvelle de Lino Aldani
 La guerre des mondes, de Wells

Théâtre

Plus original, et plus difficile peut-être, la figure du bossu dans le théâtre comique est un autre moyen d’envisager la figure du monstre. Cela permet en outre d’initier les élèves à la littérature étrangère, notamment européenne.

Je pense à des personnages tels que Polichinelle dans la commedia dell’arte et dans les comédies-ballet de Molière , Petrouchka en Russie, Hans Wurtz en Allemagne....

Dans les classes de latinistes, pourquoi ne pas élargir l’étude et remonter aux origines de ce personnage dans le théâtre latin (Térence, Plaute)

Les classes de 3ème

Préambule

Il semble que la figure du monstre soit plus difficile à aborder. En effet, dans les œuvres de référence, la figure aspectuelle du monstre n’apparaît guère, laissant la place à la figure métaphorique. De plus, la littérature pour la jeunesse destinée aux élèves de cet âge exploite peu cette figure, cédant la place à des thèmes plus en adéquation avec les préoccupations des adolescents.

Toutefois, je trouve intéressant de s’intéresser à la figure métaphorique du monstre, en montrant aux élèves comment les caractéristiques physiques du monstre, telles qu’ils les ont découvertes les années précédentes, se retrouvent d’un point de vue psychologique.

Cela montre bien comment l’étude d’un type littéraire au collège est un véritable parcours. Les élèves appréhenderont beaucoup mieux ces monstres psychologiques en possédant des repères, acquis précédemment.

Pistes de séquences

L’autobiographie

Dans le cadre d’une séquence sur l’autobiographie, on peut axer l’étude autour de monstres psychologiques tels que le personnage de la mère de J.Vingtras dans L’Enfant, celui de Folcoche dans Vipère au poing...
Au-delà de la simple séquence sur les caractéristiques de l’écriture autobiographique, on pourra amorcer ici une réflexion sur l’exutoire que propose ce type d’écriture pour l’auteur.

La poésie

Le monstre peut aussi être étudié comme symbole de la création et de l’imagination dans une séquence sur la poésie : Michaux « La géante au lit », Baudelaire « La géante ».

Le texte narratif au service de l’argumentation

En liaison avec le texte narratif au service de l’argumentation, le monstre pourra être défini comme figure de la remise en cause de l’ordre du monde, comme la figure de la déconstruction - La Métamorphose de Kafka
 La nuit des Halles de Seignolles (Presses Pocket)
 Micromégas de Voltaire
 Les voyages de Gulliver Swift
 L’homme qui rit, Victor Hugo
En effet, dans ces œuvres, le monstre se présente comme une clé de la lecture de l’univers humain.

Le théâtre

On peut aussi étudier le monstre au théâtre comme élément qui aide à la construction du sens : - Triboulet le bouffon dans Le roi s’amuse de Victor Hugo (Un parallèle peut alors être établi avec le Rigoletto de Verdi)
 Le récit de Théramène dans Phèdre
 Le personnage du Sphinx dans La machine infernale de Cocteau.

Je pensais également au personnage de Créon, si souvent qualifié de monstre psychologique. Pourquoi ne pas mener alors une séquence construite autour de ce personnage afin de s’interroger sur le rôle que peut avoir cette monstruosité dans la construction du tragique ? Pour cela, il serait alors intéressant de comparer la vision qu’en donnent Racine dans La Thébaïde ou les frères ennemis, Sophocle, Anouilh et Cocteau dans leurs versions respectives d’Antigone.

Conclusion

La figure monstrueuse est omniprésente dans les œuvres que l’on peut proposer à nos élèves de collège et elle permet, outre l’étude de différents points essentiels des programmes, d’éveiller nos élèves à la culture.
Elle est également un moyen de proposer un parcours de lecture parmi tant d’autres, de façon à donner aux élèves des repères leur permettant d’appréhender les œuvres, de mieux les comprendre et donc de les aimer.

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