A la découverte des monstres. Les ressources iconographiques de Louvre-edu

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres, JULIEN Jacques, Collège Guy-Moquet, Gennevilliers

Introduction : Travailler le thème des monstres à partir des ressources de Louvre.edu

La présentation A la découverte des monstres se veut une invitation au voyage à travers le monde des monstres et du monstrueux. Elle a à la fois l’ambition de donner à voir la diversité et la richesse de la représentation des monstres et du monstrueux à travers différentes époques et d’essayer de saisir à quelle logique la signification obéit, du symbole à l’allégorie.

Cette présentation a été réalisée en majeure partie à partir des ressources de www.louvre.edu

Les monstres de la mythologie : une représentation symbolique

Les représentations antiques

Quelques figures

On peut s’arrêter sur des figures clefs de la mythologie antique : monstres nés de l’imaginaire par hybridation.

 Sphinx
 Sirène
Il s’agit là du dossier iconographique tel qu’il se présente sur louvre.edu. (Pour revenir ensuite à cette page, utiliser la fonction « page précédente »).
 Chimères
 Gorgone

Une exploitation inégale à travers les âges

Il s’avère, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, que ces figures sont exploitées de façon peu récurrente et très inégale à travers les âges. En définitive, une seule figure monstrueuse, issue de la mythologie, semble avoir connu une carrière fructueuse : le centaure.

Des représentations antiques à l’exploitation moderne : la figure du centaure

Iconographie du centaure

Caractéristiques générales

 Les centaures sont des êtres hybrides, mi-homme, mi-cheval.
 La violence est leur apanage traditionnel et ils sont liés aux satyres, en particulier dans leur relation au vin.
 De plus, ce sont des êtres lubriques : on peut penser notamment à l’enlèvement de Déjanire par le centaure Nessus.
 Autre variante, on trouve dans quelques représentations la figure du centaure chasseur, tel le centaure Pholos.

Le centaure humanisé

Néanmoins, le centaure fait l’objet d’une humanisation :

 Un grand sentimental
 Centaures en famille
 Un aimable transporteur
 Le bon centaure : Chiron
 Le centaure ornemental

Postérité de la figure du monstre antique

Les monstres de la mythologie ont néanmoins peuplé l’imaginaire humain : ils ont ainsi leur résidence dans les jardins de Versailles. On notera l’existence du site officiel du Château de Versailles qui mérite une visite : http://www.chateauversailles.fr

Les monstres antiques constituent en fait à travers les âges des modèles figuratifs chargés de connotation et porteurs d’une valeur symbolique, dans la mesure où ils sont nourris des mythes qui les ont fait naître et par lequel leur signification s’est trouvée enrichie.

De l’âge gothique au baroque : une représentation allégorique

A partir du Moyen-Age, les figures monstrueuses se diversifient. Sous l’influence d’artistes comme Jérôme Bosch, elles deviennent des figures allégoriques.

Iconographie des représentations allégoriques des monstres par Jérôme Bosch

Un exemple : Bosch

Bosch, fleuron de l’art gothique à son apogée, annonce déjà la Renaissance et le Maniérisme.

Les motifs médiévaux

Bosch reprend des clichés codés, motifs médiévaux classiques ; on peut en élaborer une rapide typologie :

 le « triquètre » (trois jambes)
 la « tête à jambes »
 le bateau-cygne
 le bateau-baleine

Ses croquis témoignent de la diversité des figures monstrueuses qui ont nourri son imaginaire.

La reprise des motifs classiques dans La Tentation de Saint-Antoine

Bosch a repris dans La Tentation de Saint-Antoine des motifs classiques qu’il a habillés à la mode du temps.

Ainsi, dans « la table ronde » du panneau central, d’ailleurs reproduite sur l’édition du livre de Poche de la Tentation de saint-Antoine de Flaubert, il y a la « tête à jambes », motif médiéval classique de « grylle ».
Baltrusaitis cite du reste un plafond de Metz en 1220, un feuillet du musée Fitzwilliam de Cambridge 1280 et le Psautier du Lambeth Palace de Londres.

L’oeuvre de dénonciation

Mais Bosch charge ses représentations de significations liées au contexte religieux de son époque.

Les monstres sont chez Bosch au service de la dénonciation d’hérésies.
On peut voir, sur le panneau central (détail de la table ronde), un couple de « prêtres », la femme coiffée de ronces et l’homme d’une mitre d’où sortent des vipères qui donnent la communion sous les deux espèces à un musicien au groin de porc et portant sur sa tête un hibou auquel (citation de Robert Delevoy citant Ruysbroeck, auteur du Liber de Tabernaculo au XIVe siècle) « ressemblent tous ceux qui s’opposent à la vérité intègre et à la saine doctrine et trouvent des opinions et inventions nouvelles par lesquels ils veulent obscurcir la loi de Dieu ».

Les monstres l’aident également à lutter contre l’alchimie. On distingue en effet dans le triptyque, plus spécifiquement sur le panneau central, plusieurs allusions à l’alchimie (Faire glisser le curseur et cliquer pour voir les détails du tableau) :

 l’oeuf porté par un des trois personnages de la messe noire (celui au-dessus de l’homme à l’entonnoir) est symbole du creuset où s’effectue le grand œuvre.
 également, la coloquinte habitée est une allusion au fourneau de l’alchimie
 comme d’ailleurs l’arbre sec de la roue des suppliciés.
 L’enfant alchimique est également le fruit de l’union réalisée par le grand oeuvre.
 Le rat que chevauche la femme est selon Ruysbroeck le signe de la fausseté.
 Le bateau cygne dans les airs symbolise toujours selon Ruysbroeck « le jeune homme qui ne craignant pas Dieu se laisse mener par ses penchants naturels et mène une vie de plaisir et de luxure » (Liber de Tabernaculo).

En fait, Bosch transforme des motifs banals de monstruosité transmis par l’Antiquité et le Moyen-Age en leur donnant une prégnance plus grande par la précision du trait et la richesse de la couleur.
Il leur confère, de plus, une signification théologique, si on peut appeler théologie les traités du Moyen-Age tardif.

Analyse de la figure du monstre dans les Représentations de Saint-Antoine

Le monstreux absent

La tentation de saint Antoine d’Egypte ne se présente pas toujours sous la forme du monstrueux. Voir textes.

Dans le tableau de Veronese (1552) (Musée de Caen), le diable est sur le point de terrasser saint Antoine dans une figure inversée de saint Michel terrassant le dragon.

La Tentation de saint Antoine semble disparaître des sujets possibles au XVIIe et XVIIIe siècles.

La plupart des artistes du XIXe et du XXe, et même dans le cas où ils se réfèrent à Flaubert, présentent saint Antoine assailli par des créatures féminines normales. Ainsi :
 Paul Delaroche (v. 1832) (Londres, The Wallace Collection)
 Paul Cézanne (1867-1870) (collection E.G. Buerhle, Zurich, exposée sur internet)
 Eugène Isabey (vers 1869) (Musée d’Orsay)
 Lovis Corinth (1908) (Tate Gallery)
 William Roberts (1951) (Tate Gallery) (N.B. : sur le site de la Tate, aller dans General Collection et utiliser le moteur de recherche.)

Les lectures monstrueuses de la tentation de saint Antoine

C’est la tradition d’Europe du Nord issue de Bosch qui représente au XVIe siècle le saint entouré de créatures difformes ou hybrides :
 Hieronymus Bosch, v. 1500 (Musée de Lisbonne)
 Hieronymus Bosch, Croquis (Musée du Louvre)
 Matthias Grünewald, 1510-1515 (Musée de Colmar)
 Joachim Patinir (1515) (Metropolitan Museum, New York) N.B. : Aller dans The Collection, cliquer sur search the collection
 Pieter Huys (1547) (Musée du Louvre)
 Pieter Bruegel, 1555-1558 (Washington National Gallery of Art)
 David II Teniers (Musée du Louvre)
 Marten de Vos (1591-1594) (Musée d’Anvers)

Il faut attendre le Surréalisme pour voir réapparaître cette tradition : le fantastique de Bosch et de Bruegel est alors pris comme modèle.
 Michael Ayrton (1942-43) (Tate Gallery) (N.B. : sur le site de la Tate, aller dans General Collection et utiliser le moteur de recherche.)
 Max Ernst (1945)
 Dali (1946) (Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles)

Du monstre au monstrueux : la représentation des monstres intérieurs

Introduction

Une évolution double

A travers le temps, il semble qu’on puisse distinguer une double évolution :

On passe progressivement d’une représentation figurative des monstres à des représentations monstrueuses.

Le monstre témoigne à l’origine de la volonté des hommes de comprendre l’Univers et de donner une explication à ce qui semble rationnellement ne pas en avoir. Emprunt d’une dimension symbolique, il revêt une valeur allégorique : il est l’incarnation du Mal. Le monstre devient une arme argumentative et permet de faire œuvre de dénonciation.

Un regard subjectif

A l’époque moderne, le monstre est la transcription du regard subjectif porté :

 d’une part, sur le monde. Les visions monstrueuses participent de la volonté de déconstruire le monde et ce faisant de le dénoncer.
 d’autre part, sur soi. Les visions monstrueuses sont l’occasion d’un voyage introspectif dans sa propre conscience : comme le dit Michaux, les monstres « sortent des angoisses et des obsessions » (Animaux fantastiques, OC, p581).

De Moreau à Michaux, le monstrueux est un outil d’exploration de l’inconscient et donne la parole à ce qu’il y a de plus enfoui dans l’esprit humain.

Les visions monstrueuses dans le Symbolisme : Moreau

La voie du morbide

Dans son exploration des états psychiques intermédiaires, et cela en réponse au rationalisme et au productivisme ambiants, Moreau exploite la voie du morbide.

Explorer l’esprit en-deçà du conscient

Moreau peint le monstrueux et il cherche, par là-même, à élever les esprits en les faisant se confronter au mystère. Il cherche la perturbation : le monstrueux lui permet de faire œuvre de déstabilisation pour explorer l’esprit humain en-deçà du conscient guidé, voire emprisonné, par la raison.

La thématique du monstre chez Francis Bacon

Tous nos remerciements à Caroline D’Atabekian pour son aide précieuse sur Bacon et Michaux.

La Nouvelle Figuration

Francis Bacon est un représentant du mouvement que le critique Michel Ragon a nommé la « Nouvelle Figuration ».

La peinture du cri humain

A partir des années 50, Bacon se consacre à des portraits et il fait du corps le motif récurrent de sa peinture figurative. On peut remarquer le traitement de la bouche : c’est l’élément privilégié par Bacon. Cette bouche omniprésente peut être chez Bacon conçue comme le mythe fondateur de ses tableaux. L’ambition de Bacon est de « faire un jour la peinture la meilleure du cri humain ». Le monstrueux naît chez Bacon de la déformation pour dire la dilution de son être et donner corps aux cris intérieurs de l’être humain.

La symbolique des monstres chez Michaux : « monde du dehors » et « monde du dedans »

Le numéro des pages renvoie selon à :
 H. Michaux, Oeuvres complètes, Tome I, Paris, Gallimard, Collection de la Pleïade, 1998 (OC)
 A. Pacquement, Henri Michaux : Peinture, Paris, Gallimard, 1993 (P)

Dénonciation du monde du dehors

Dans Epreuves et exorcisme, Michaux fait œuvre de dénonciation. Il dit dans la préface : « La plupart des textes qui suivent sont en quelque sorte des exorcismes par ruse. Leur raison d’être : tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile ».

Dans la période où les textes ont été rédigés, entre 1940 et 1944, ce travail d’exorcisme revêt une signification politique et a valeur de dénonciation.

Les figures du monstre chez Michaux

Michaux y reprend la figure du monstre, à tous les degrés de la représentation :
 Il a recours aux monstres de l’Antiquité : les Sphinx (OC, texte p.796 et dessin p. 826)
On peut ajouter le texte nommé Labyrinthe (OC, p. 796) : le motif du labyrinthe a d’une part quelque chose de monstrueux et, d’autre part, est lié à la figure du monstre - le minotaure.
 On retrouve également les figures monstrueuses identifiées par la tératologie. On renverra aux textes : Les hommes troncs et Double-tête (OC, p.817)
 Les monstres sont également présents collectivement, sous le vocable « monstres » : Dans la compagnie des monstres, OC p. 813 / Le lobe à monstres, OC p.814 / Le monstre dans l’escalier, OC p.816
 Puis viennent des monstres nés de la déformation du réel : Prince de la nuit texte (1939) et tableau (1937) de même titre (P, p. 70)
 Ces monstres finissent par être des figures multiformes et toujours remodifiées. Elles contribuent à déconstruire le réel, à souligner qu’il n’est qu’illusion. Cf. J’ai vu in Epreuves, exorcisme (OC, texte p. 788 et dessin p. 832)
 Des monstres fantasmatiques, enfin, émergent des textes par le jeu des réseaux lexicaux : Les masques du vide (OC, texte p. 782 , iconographie p. 919)

Cette multitude de monstres contribue à donner du monde du dehors une image angoissante. Comme le veut Michaux, ils sont un moyen d’exprimer le sentiment d’horreur que le monde extérieur lui inspire.

Exploration introspective du « monde du dedans »

Les figures monstrueuses permettent aussi de donner forme à ses angoisses et ses obsessions intérieures : les monstres contribuent à l’élaboration de son paysage intérieur. Il sont l’expression des visions infernales qui l’habitent et le hantent .

On peut penser en parallèle à la figure du Meidosem, du reste protéïforme, qui confère une dimension concrète à l’image des visions cauchemardesques intérieures dont il est la traduction :

Michaux s’en explique ainsi dans Têtes (P) :

« Devant moi, comme si elle n’était pas moi... (...) nourrie d’elle-même, de mon immense chagrin plutôt, oui, oui, chagrin de je ne sais précisément quoi, mais auquel collabora une époque, non, trois époques déjà, et si mauvaises toutes si riches en défaites, en drapeaux déchirés, en mesquineries, en idéaux de pacotille, en art de vivre pour bétail, si exaspérantes, si exaspérées, et si, et si, et si ... Ces pour tous ces »si« que sont sorties ces têtes qui n’en font qu’une, une seule qui brait de rage ou qui morne et gelée considère le destin ».

Les monstres et visions monstrueuses traduisent ses combats intérieurs : Mon Roi (OC, p. 422), duquel on peut rapprocher les figures des Emanglons. On pensera également à Combats (texte et tableau, P, p. 78)

L’œuvre de Michaux est en définitive exemplaire de la signification que peut revêtir la figure du monstre.

Conclusion

Difforme ou hybride, né de la Nature mais aberrant ou fruit de l’imaginaire, le monstre est porteur d’une symbolique prégnante.

Il témoigne de la volonté de l’homme de se comprendre et de comprendre l’Univers qui l’entoure. Selon la logique dans laquelle se place l’artiste, il est l’incarnation horrifiante de l’idée de mal, de l’hérésie, du fascisme ...
Allégorie du Mal, le monstre est un adversaire extérieur ; l’homme engage avec lui un combat d’où il sort vainqueur ou vaincu.

Métaphore des angoisses et des obsessions de l’inconscient et du subconscient, la figure du monstre se dilue en des visions monstrueuses, cauchemardesques et fantasmatiques qui permettent d’extérioriser les monstres intérieurs qui nous hantent.


Saint Antoine d’Egypte

Né vers en 251 à Koma, près de al-Minya Heptanomis (Moyenne-Egypte),
mort le 17 janvier 356 - à 105 ans - à Dayr Mari, non loin de la mer Rouge ;

 Jacques de Voragine (1230-1298) , La légende dorée : texte latin

« Tunc illi in formis variis ferarum apparuerunt et eum iterum dentibus, cornibus et unguibus crudelissime laceraverunt. »

 Gustave Flaubert, La Tentation de saint Antoine : texte disponible sur Gallica

Antoine.
« Oh ! Il me vient aux entrailles des fantaisies monstrueuses, feux de l’ enfer plus terribles que la réalité.
La Voix. - C’ est la réalité. Oui, approche, essaie ! » (p. 216)

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