Le théâtre : comique et tragique

, par NAUGRETTE Catherine, Université de Paris-III

Compte rendu de la conférence de Catherine Naugrette, Université de Paris-III

Introduction

Le thème « comique et tragique » peut circuler selon plusieurs perspectives :

  • L’histoire littéraire,
  • Les genres et registres,
  • Argumenter,
  • Travail de l’écriture ( voir à ce sujet la dernière version des œuvres de Racine, par Georges Forestier)

Il sera abordé dans la continuité du collège et du lycée, dans sa conformité et ses variations par rapport aux codes.

Comique et tragique sont des catégories esthétiques normatives qui se concrétisent selon des règles et des codes directifs. A d’autres moments, ces catégories sont plus floues à définir, se combinent et s’entremêlent.
La disparition des contraintes et des codes remet en question les frontières entre les genres.

Dressons la problématique du comique et du tragique à partir de la Poétique d’Aristote

Leur première définition se trouve dans la Poétique d’Aristote. Comment évoluent-ils et s’incarnent-ils, séparés ou mêlés, jusqu’à notre époque ? Comment les aborder dans des textes anciens et des textes du 20° siècle ?

Il faut tout penser à partir d’Aristote :

  • Les genres sont des catégories esthétiques
  • Les registres s’incarnent dans les genres
  • Les grandes catégories de l’écriture dramatique contemporaine
  • La Poétique impulse toute la dramaturgie occidentale ; c’est la référence, par exemple pour la catharsis, même si elle est remise en cause (Brecht). Les philosophes repartent tous d’Aristote également car son système est pensé de façon philosophique et dramaturgique.

Dans la Poétique, tout est appréhendé sous le signe de la mimésis

Un problème de traduction de « mimésis » se pose car Platon parle de « copie du réel », mais Aristote réhabilite la notion d’imitation du réel, de reconstruction artistique du réel.

[Parmi les nombreuses éditions, l’édition de référence est celle de Jean Lallot et Roselyne Dupont-Roc (Seuil, 1980) ; c’est la seule qui traduit « mimésis » par « représentation », laquelle renvoie à la notion de représentation artistique, préférable à la notion d’imitation]

Tandis que pour Platon, l’épopée n’est que semi-mimétique, pour Aristote, tous les genres relèvent de la mimésis, et d’autres critères interviennent pour les distinguer.

Les trois genres étudiés par Aristote : épopée, tragédie, comédie

Après avoir mis de côté des genres mineurs, il s’intéresse à trois genres :

  • L’épopée,
  • La tragédie,
  • La comédie.
L’action et la représentation de personnages agissants

Il établit des jeux de similitudes et d’oppositions, pour souligner les similitudes dans un premier temps . Cela se retrouve au 17° siècle au niveau des personnages. Pour lui, l’action est la notion centrale des trois genres qui se ressemblent car ils représentent des actions dont les actants sont des hommes. La littérature est la représentation de personnages agissants.

Les personnages : épopée-tragédie / comédie

C’est sur la nature des personnages agissants que se fonde la différence des genres. Dans le chapitre 2, il opère une scission entre épopée-tragédie /comédie à partir des personnages :

  • Epopée et tragédie : personnages nobles et positifs,
  • Comédie : personnages bas et négatifs.

Les caractères relèvent exclusivement de ces deux types (bassesse/ noblesse) : personnages plus ou moins que nous : accentuation du réel par l’art et non sa traduction absolue.

Au chapitre 5, il définit la comédie puis il n’en parlera plus. A partir du chapitre 6, tout porte sur la tragédie pour la comparer à l’épopée et conclure à sa supériorité. On pense que la Poétique est incomplète et qu’il aurait dû y avoir d’autres chapitres sur la comédie. Au 17° siècle, le peu de choses publiées sur la comédie repose sur ce chapitre 5 ; si bien que, le plus souvent, la comédie - et non la farce - voit ses règles alignées sur celles de la tragédie.

Un aspect négatif et péjoratif est apporté aux « personnages bas » et « pires que nous » ; la comédie représente l’homme bas. Il définit le comique comme « une laideur sans douleur ni dommage » : on exploite un vice, un défaut ; mais cette laideur n’entraîne aucune douleur, aucun dommage.

Le mode de narration : épopée / tragédie-comédie

La dernière différenciation entre épopée/tragédie/comédie est dans le rapprochement de la tragédie et de la comédie et de leur différence avec l’épopée. Cela concerne le mode de narration (diégèse/ mimésis).

 Récit : épopée > style indirect
 Action : théâtre > style direct.

Bilan de cette comparaison entre l’éposée, la tragédie et la comédie

 Du point de vue de l’objet, l’épopée ressemble à la tragédie
 Du point de vue du mode de narration, l’épopée diffère du drame.

C’est le point de départ de toute l’histoire littéraire (cf Todorov). D’où :
 Sophocle // Homère : personnages nobles.
 Sophocle // Aristophane : drame.

La tragédie

Au chapitre 6, Aristote se consacre à la tragédie : « Représentation d’une action noble, menée jusqu’à son terme et ayant une certaine étendue dans un langage relevé d’assaisonnements variés...en représentant la terreur et le pitié, elle opère une purgation des émotions de ce genre »

  • Représentation > mimésis
  • Action > dramatisation
  • Noble / comédie
Analyse de la définition de la tragédie par Aristote

 « menée jusqu’à son terme » : présente automatiquement un dénouement.. C’est le plus souvent une catastrophe ; il est tragique, violent. La tragédie referme des conflits qui trouvent une fin ( clôture du drame) ; elle opère souvent un renversement du bonheur vers le malheur.

 « ayant une certaine étendue » : unité de temps très peu définie chez Aristote qui utilise exclusivement le terme « étendue » qui distingue l’épopée (étendue vaste) et le théâtre (étendue limitée). La tragédie, c’est le temps qu’il faut au bonheur pour devenir du malheur. Il parlera ensuite d’une révolution du soleil, sans plus. Il définit le théâtre du point de vue philosophique alors que les théoriciens du 1è° siècle le définissent en dramaturges, d’un point de vue pratique.

 « dans un langage relevé d’assaisonnements variés » : beaucoup de réflexions sur le langage, notamment sur la métaphore, ont été reprises par Paul Ricoeur.

 « en représentant la terreur et le pitié, elle opère une épuration de ces émotions ». La dernière partie de la définition pose le problème de la catharsis.

Le problème de la catharsis

Aristote ne définit pas la catharsis mais dit simplement que « c’est le but de la tragédie ». C’est le plus important.

La mise de côté chez Aristote de ce qui est pratique et mise en scène pèse sur nos pratiques. Pour lui, le texte est roi, notamment le texte tragique, longtemps appelé poème dramatique. Le théâtre se range du côté de la poésie.

Pas de poétique de la scène, mais souci de la réception, de l’effet produit sur le spectateur. Très étrangement, ce souci passe par-dessus la scène. Le texte doit être assez fort à lui seul pour produire ce genre d’émotion.

La catharsis est très difficile à définir ; la notion a été transformée, interprétée différemment, notamment au 17° siècle où l’épuration est pris au sens moral de purgation. Or, « catharsis » est une métaphore médicale (cf une purgation) ; cet effet passe par le corps, touche très profondément. (notion si évidente à son époque qu’il ne la défend même pas ?) . Il en reparle dans sa Politique à propos de la musique où il accentue le sens médical du terme. Mais il ne faut pas réduire la catharsis à un soulagement thérapeutique.

  • 1° difficulté : sens du mot
  • 2° difficulté : relier la catharsis, notion négative(terreur et pitié) à la notion de plaisir. Ce paradoxe pose de nombreuses questions. Platon condamne absolument le théâtre de la cité idéale dans la République ( il corrompt ; c’est l’art de l’illusion ; il est si pervers que l’on prend plaisir à des actions mauvaises). Plaisir paradoxal difficile à expliquer.

Une interprétation exclusivement artistique et intellectuelle s’impose actuellement, conforme à celle d’Aristote ; car il a abordé la catharsis à partir de la mimésis où il dit que dès l’enfance l’homme trouve du plaisir dans la représentation des choses dont la vue lui est pénible et qui nous repoussent dans la réalité ; en regardant des images, on apprend ainsi à reconnaître. S’il y a une définition de la catharsis, elle est là.

Ces choses nous sont pénibles La reconnaissance intellectuelle de la chose nous fait plaisir ;
Leur représentation nous est agréable C’est le plaisir intellectuel de la reconnaissance

Ce plaisir passe par l’image et par le regard ; le théâtre opère comme la peinture. Si l’on applique cela à la tragédie, (Oreste, Œdipe dont l’image est considérée comme trop violente), on opère la reconnaissance du mythe à travers la réalité. C’est alors que se réalise le paradoxe à travers la catharsis. Le théâtre, contrairement à ce que dit Platon, est donc un moyen pour apprendre. Ricoeur, dans Métaphore vive, s’avère moins favorable à une interprétation de la catharsis relative à la psychologie du spectateur que vers une interprétation artistique et esthétique.

La question de la catharsis et de la séparation des genres de la comédie et de la tragédie au cours des siècles

Le devenir de la Poétique : sa lecture et son interprétation au Moyen-Age

Au Moyen-Age, on connaît tous les textes d’Aristote, sauf la Poétique, en Occident. L’Art Poétique d’Horace est connu ; mais on ne sait pas s’il a connu La Poétique d’Aristote ou s’il l’a rencontré à travers des auteurs plus tardifs. Il est commenté par Averroès au 12° siècle . C’est par le repli des Byzantins que La Poétique revient vers l’Italie.

La Renaissance : traduction et commentaires de la Poétique d’Aristote

La première traduction (par Lorenzo Valla) influence la Renaissance, l’Humanisme et développe l’aristotélisme français et italien ; aristotélisme fondé sur une traduction, sur des commentaires et une réinterprétation. Tout un paratexte italien permet de découvrir La Poétique en France par un théoricien, Scaliger, qui en publie à Lyon un longue éditon commentée. Un amalgame s’opère entre La Poétique d’Aristote et L’Art Poétique d’Horace, mais replacé sous l’autorité d’Aristote (cf Christian Biet, La Tragédie, Armand Colin, 1997) qui explique que les aristotéliciens ne se fondent pas sur un corpus purement dû à Aristote, mais beaucoup plus à ses commentateurs jusqu’au 17° siècle.(nombreuses éditions concernant la tragédie : Chapelain, Scudéry, la Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac, grand texte de 1657). Tout ce qui est dans Aristote - et plus ! - passe au 17e siècle à partir de la Querelle du Cid. C’est le point de départ d’un doctrine et de règles très strictes (cf Dramaturgie classique de Scherer + ouvrage de Forestier qui met en avant le rôle de la rhétorique).

Le 17ème siècle

Les règles

De nombreuses règles secondaires adoucissent les règles fondamentales
 Unité de temps : coïncidence parfaite entre temps de l’action et temps de la représentation ; puis 12 heures, puis 24 heures, ce qui est la tolérance maximum et qui devient la règle.
 D’Aubignac apporte des tolérances à l’unité de lieu (côtés, rideaux, comme dans Athalie). C’est sur cet appareil très normatif de la tragédie que s’aligne la comédie.

Mais le 17° siècle accentue la différence entre comédie et tragédie.

Tous les théoriciens insistent, dont d’Aubignac, : il faut hiérarchiser et séparer les genres.

Comédie et tragédie se différencient par les personnages :
 La comédie explique un défaut ou un vice (cf Méret : « représentation d’une fortune privée sans douleur sur la vie »)

 Or, les personnages publics que sont les grands princes et les personnages bas pris dans leur sphère privée s’opposent. La sphère privée des personnages bas n’a pas de résonance sur l’homme ou sur la politique.

 D’Aubignac prône la séparation totale des genres, par crainte du danger de contamination, d’autant que la comédie se rapproche de la farce(cf. Boileau). D’Aubignac déplore beaucoup l’emploi du mot « tragi-comédie » car il estime que les deux genres ne peuvent absolument pas se rapprocher. La tragédie se rapproche de l’épopée ; la comédie se rapproche de la farce.

 Dans le contexte historique et politique, le poids idéologique et esthétique du théâtre destine la tragédie à un public d’élite et la comédie à un public bas. C’est l’amorce d’une théorie du reflet et du miroir scène/ salle, personnages/ spectateurs.

 Molière se bat dans ses préfaces et dans ses pièces pour faire reconnaître la comédie. La poétique de la comédie se trouve chez lui , notamment dans la critique de l’école des femmes, comme une tentative de réhabilitation et de défense de la comédie. Molière insiste sur la différence d’écriture des comédies : « et c’est une étrange entreprise que de vouloir faire rire les honnêtes gens ». Le premier placet présenté au roi sur la comédie du Tartuffe lui donne pour fonction d’ « attaquer par le ridicule les vices du temps ». C’est assigner une fonction morale au rire et à la comédie : « Le premier devoir de la comédie est de corriger les hommes en les divertissant. »

Evolution de la catharsis

 L’idée de « decorum » devient l’idée de bienséance ;

 L’idée de « utile et dulce » devient « instruire et plaire ». Plus que la catharsis, ce sera le mot d’ordre de la tragédie( cf les préfaces de Racine).

 Or Molière revendique les mêmes fonctions pour la comédie : Le 17° siècle moralise la catharsis.

Interprétation morale de la catharsis et mélange des genres

La catharsis est une notion très peu abordée par les théoriciens, confondue avec le « plaire et instruire d’Horace » et de plus atténuée.

Racine en propose une autre interprétation dans la préface de Bérénice : « une tristesse majestueuse ». Or, pour Aristote, les mots violents accentuent l’effet cathartique, ce que remet en cause la préface de Bérénice en étant une sorte de début de mélange des genres.

Corneille en est le grand représentant. Il écrit trois Grands discours sur la tragédie (cf nouvelle édition G-F) et l’Epître à Don Sanche , « comédie héroïque » où il définit sa tentative comme une réinterprétation d’Aristote. Il essaie de justifier le rapprochement possible entre les genres à travers la notion de comédie héroïque. Il prône un assouplissement du cloisonnement des genres, annonce une œuvre nouvelle mettant en scène « rois et princes, mais avec une justification privée de leurs actions » (Don Sanche : les personnages sont nobles et publics mais sont placés dans une comédie ; cette nouvelle dénomination de « comédie héroïque » concerne trois œuvres , dont Tite et Bérénice et Pulchérie. Il écrit « J’ajoute à celle-ci[ la comédie] l’épithète »héroïque« pour éviter à ses personnages la bassesse ». Il justifie le décloisonnement par le contexte propre à Aristote. Pour lui, l’époque a changé et propose un double renversement :

| Personnages nobles dans la comédie | Annonce le 18ème siècle |
| Personnages bas dans la tragédie | Annonce le 18ème siècle |

Il utilise également un argument : le rapprochement personnage / spectateur pour des raisons d’humanité et de vérité humaine : « ces rois sont hommes... ». C’est l’ouverture à la naissance du drame, au 18° siècle, d’un genre intermédiaire. Cf. Diderot qui a la volonté de le créer. Au début, comme « genre honnête et sérieux » ; puis il utilise le mot « drame » qui prend alors son sens moderne et opère le rapprochement des genres (environ vers 1750 ) et constitue une ouverture à la modernité. Les germes de la modernité sont chez Corneille, théoricien extrêmement intéressant, y compris sur le théâtre par rapport au roman. La grande question posée dans ces 3 discours est celle de la liberté du poète, notamment pour l’unité de lieu. Il s’imagine quelle aurait pu être sa liberté s’il avait fait un roman. Il dénonce donc l’invraisemblance des conventions qui prétendent travailler au nom de la vraisemblance. Pour lui, le romancier est libre. Il innove également sur le rapprochement des genres ; et c’est sur ce rapprochement que se fonde la modernité.

Le 18ème siècle et Diderot

Diderot pratique une hybridation des genres encore actuelle. On s’accorde de plus en plus à faire de lui le théoricien moderne du théâtre et le premier à avoir écrit à propos d’une esthétique de la scène.

On ne joue plus de drames bourgeois, mais c’est à partir d’eux que se développe l’idée du drame moderne. C’est une question de moralisation. Diderot envisage une moralité de l’art et une fonction didactique du théâtre ; ce qui rend ses drames injouables actuellement. Autant il est à l’aise dans le mélange des genres dans le roman, autant il a des raideurs dans la mise en scène pratique au théâtre. Cf ses discours Entretien sur le fils naturel, Discours sur le poème dramatique, Paradoxe sur le Comédien.

 Dans les deux premiers, il plaide pour un système dramatique non plus fondé sur la séparation des genres, mais allant chercher ailleurs dans l’intervalle entre tragédie et comédie, sur un axe avec des variantes possibles ; genre moyen situé entre les deux extrêmes. Pour lui, dans la nature -sa grande référence- les extrêmes sont rares, contrairement aux intermédiaires. C’est ce que J.-P. Sazerat appelle « la nébuleuse du genre bourgeois » dans le prolongement de ce que définissait Diderot : « avantage du genre sérieux ; il a des ressources, soit qu’il s’élève, soit qu’il descende ».

 Dans le Discours sur le poème dramatique, il fait le bilan de son entreprise. Pour lui, Le Fils naturel est un milieu, Le Père de famille plutôt une comédie et il espère écrire un drame plus du côté de la tragédie ( la tragédie domestique réalisée en Angleterre, puis en Allemagne avec Lessing ).

Si l’on abandonne la pureté des genres, on obtient une hybridation et une variabilité, ce que d’Aubignac appelait « œuvre impure » mais que Diderot dit « souple ». Il reprend les discours de Corneille et revendique des « bourgeois dans le drame, des nobles dans la comédie » : le philosophe, le magistrat, le seigneur, l’homme de lettres et non exclusivement le commerçant. C’est la sphère privée, familiale, le « drame bourgeois »(cf. Tchekov, une des meilleures illustrations). Il demande des personnages qui aient une vérité humaine et soient proches des spectateurs (effet de miroir). Le pathos, l’émotion, le pathétique se substituent à la catharsis, la leçon de morale, de vertu passe à travers l’émotion. Cette dimension-là a survécu et a fondé une esthétique de la dramaturgie par des tableaux attendrissants. Cf article de Barthes à propos de l’aspect prégnant ; cf. également Brecht, Eisenstein.

Diderot est très moderne :
 1. Il propose de passer à la prose
 2. Il développe la pantomime car il pense que dans le drame les gens parlent trop( cf développement des didascalies). Il inscrit le jeu dans le texte (pour moitié dans Le Fils naturel) et annonce la naissance de la mise en scène, ce que complète Le Paradoxe sur le Comédien.

Après la Révolution

A partir de là, le drame évolue, mélange le rire et les larmes et inversement (Le mélodrame est l ’avatar du drame après la Révolution.) Voir Sedaine, Mercier (La Brouette du vinaigrier), Beaumarchais (La Mère coupable) pratiquent le drame bourgeois et Lessing en Allemagne développe le drame.

En France, l’évolution est chaotique en raison de l’Histoire. Dans le mélodrame, sorte de drame hyperbolique, tout est poussé à l’extrême et donne naissance au drame romantique.

Victor Hugo part du mélodrame pour arriver au drame. Ses ambitions :
 1. Libérer l’écriture avec règles, que Diderot ne remet pas en question. Il fait voler unité de temps et de lieu, mais pas l’unité d’action ; Stendhal va dans le même sens.

 2. Le mélange des registres à l’intérieur des deux genres, selon le modèle de Shakespeare. Chez Hugo, même volonté de rapprocher les deux genres à travers les catégories esthétiques du sublime et du grotesque.( NB : le sublime a été étudié par Kant au 18° siècle ; ce n’est pas une notion nouvelle). Il appelle à un drame total qui soit capable de représenter et de mêler sublime et grotesque. Il considère que le genre le plus moderne de son époque, c’est le drame.

 3. Le drame est un miroir de concentration, différent du miroir stendhalien. Il rend compte de tout le réel, y compris des contraires, dans une esthétique totalisante. Cf. Anne Ubersfeld, notamment avec le rôle du bouffon dans Le Roi s’amuse, qui relève d’une union subversive et carnavalesque du comique et du tragique. C’est cette perspective qui se développe jusqu’à la crise de l’écriture du drame, à la fin du XIXe siècle. Cette remise en question repense la séparation des genres.

En France, naissance de la mise en scène avec Antoine. Zola appelle une renaissance du théâtre (1876-1880), un drame naturaliste et un génie de ce théâtre qu’il ne peut pas faire.

C’est Ibsen, Stringberg, Tchekov qui illustrent à l’étranger ce passage vers une nouvelle forme dramatique. Cf. les lettres de Tchekov à Stanislavski. Il croit écrire des comédies, voire des farces. C’est vrai pour ses pièces en un acte mais pas pour les autres et il déplore qu’elles soient mises en scène trop tristement. Ex La Cerisaie, tragédie pour certains, comédie pour d’autres. Il reproche à Stanislavski d’en avoir fait une tragédie. La mise en scène peut changer les choses et une pièce peut se teinter de tragique ou de comique si elle n’obéit pas à des règles strictes. Ce facteur de la mise en scène n’intervient pas pour les genres bien définis comme la tragédie mais c’est déjà moins net pour les grandes comédies de Molière. On retrouve la dimension scénique du théâtre ; ce n’est plus que du texte. On ne peut plus vouloir tout dominer par le texte, sauf si l’on inscrit tout, dialogue et mise en scène (cf. Beckett).

Le XXe siècle

Le XXe siècle se caractérise par une diminution progressive des contraintes ; « la seule contrainte est la liberté » dit un critique.

La frontière entre les genres devient plus problématique. Cf Artaud. Dans le Théâtre et son double, Il substitue la notion d’humour à celle de tragédie et de comédie ; « une poésie objective à base d’humour », comme celle des Marx Brothers. De même, un certain texte de Pirandello sur l’humorisme, in Choix d’Essais (Denoël) provient d’une vision du monde qui repose sur l’humour et la prise en compte des oppositions entre le « sentiment du contraire » et la faculté de lire au-delà de l’aspect du comique ou du tragique, l’effet contraire. Cf. le théâtre épique de Brecht qui rejette le théâtre aristotélicien. Il plaide sur la notion de distanciation.

Au plan du spectateur, la distanciation doit permettre une réaction critique et intelligente qui passe par le sentiment des contraires. La mise en jeu des contraires au théâtre est incarnée selon Brecht par Charlie Chaplin / Charlot. « C’est un art entièrement pur. Enfants et grandes personnes rient du malheureux » ; d’une certaine façon, on retrouve une forme de catharsis.

Du point de vue de la mise en scène aussi, l’hybridation conduit à l’humour, voire à l’humour noir ; cf Beckett. Il définit ce qu’il fait : « en face, le pire, jusqu’à ce qu’il fasse rire. ». Cf également Thomas Bernhardt(Une fête pour Boris ; une histoire de culs de jatte) et sa nouvelle Est-ce une comédie, est-ce une comédie.

La notion de genre est complètement remise en cause et les registres complètement mêlés avec une tendance au déclin du rire et du comique dans les tragédies alors que la tendance à l’accroissement du tragique dans la comédie se confirme.

Aujourd’hui, nous sommes plus dans le retour du tragique (cf. le programme du Théâtre de la Colline). On est toujours dans une esthétique négative après la 2ème guerre mondiale, revivifiée par les Balkans par une retombée dans un tragique contemporain. Jacques Nichet, metteur en scène à Toulouse, déplore l’absence de comédies contemporaines : « Nous ne répondons plus à la violence de la société par la violence du rire. » La question des registres travaille. Alain Badiou (Ahmed le Subtil) essaie de revivifier la comédie. On pourrait se demander si la vieille vision de la comédie ne revient pas et si la comédie n’est pas relayée par les sketches. Sont-ce là les effets du « politiquement correct » ? Vinaver est plus humoriste que comique. Le théâtre ne remplit plus sa fonction de divertissement.

Transcription assurée par Jacqueline Dagès, formatrice IUFM.

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