L’argumentation

, par VIGNER Gérard, IA-IPR

Cet article renvoie à des programmes qui ne sont plus d’actualité ; néanmoins, la réflexion menée et les démarches pédagogiques évoquées conservent tout leur intérêt.


Tout le monde peut faire ce constat apparemment paradoxal. Un enfant, capable à l’oral, et dans certaines circonstances, de s’engager dans des opérations d’argumentation parfois très élaborées, se trouve le plus souvent en difficulté pour engager une argumentation écrite convenablement formée, compétence qui ne commence à être véritablement maîtrisée, quand elle l’est, qu’aux environs de 16-17 ans. Comment rendre compte d’un tel décalage ? Par quelles étapes passe l’acquisition d’une compétence à développer une argumentation écrite ? La conduite de discours argumentatif dans la vie sociale et celle à l’oeuvre dans les apprentissages scolaires obéissent, semble-t-il, à des logiques distinctes. Un rapide état des lieux en la matière.


Préambule

Un constat général, une présence affirmée de l’argumentation dans les programmes du collège comme dans ceux de lycée, de même qu’elle constitue un objet d’étude universitaire régulièrement fréquenté (voir Marianne Doury, Sophie Moirand, 2004).

De nombreuses raisons peuvent être avancées pour rendre compte de cette présence de plus en plus forte :

 D’abord, par le fait que cette dimension argumentative de la formation n’a jamais complètement disparu de nos programmes, même après l’éviction d’un enseignement explicitement rhétorique par les pédagogues de la IIIème République (éviction qui s’explique par le grief porté à l’égard de la rhétorique d’entraîner les élèves à s’exprimer sur des sujets convenus, sans engagement véritable sur des valeurs partagées, alors que la IIIème République va tenter de concevoir l’enseignement de la littérature comme un véritable traité de leçons de choses morales).

 Ensuite par la prise de conscience de l’importance revêtue par cet usage du discours dans une perspective à la fois citoyenne et démocratique. La vie de la Cité, dans la Cité, n’est pas concevable sans le recours au débat dont la maîtrise doit être donnée en partage à tous (d’où l’introduction du débat argumenté au lycée avec les activités liées à l’Education civique, juridique et sociale). Le passage à la démocratie participative, dans laquelle chacun est plus impliqué qu’autrefois dans le processus de prise décision, va dans le même sens.

 L’exigence de plus grande transparence dans tous les domaines de la vie collective se traduit par un jeu beaucoup plus important d’argumentation et de contre-argumentation qu’autrefois. Avec les malentendus cependant qui peuvent naître de la confusion entre l’argumentation abordée comme forme de discours, dans la relation à l’autre, comme intervention en direction d’autrui, dans la dimension interpersonnelle de la relation, et l’argumentation comme type de texte (le texte argumentatif, tel qu’il apparaît et est défini, de façon souvent fort réductrice, dans certaines typologies).

L’argumentation, telle qu’elle se présente aujourd’hui s’oppose tout à la fois à la rhétorique traditionnelle, appréhendée dans sa dimension oratoire, et à la logique, comme outil impersonnel et formel de démonstration. Dans la réalité, les oppositions sont moins tranchées, le discours argumentatif prend en compte l’auditoire, le public destinataire. Et une argumentation peut s’appuyer sur une démarche de raisonnement, le syllogisme par exemple, qui quelque part fait référence à la logique. L’étude des langues anciennes permettra aux élèves qui ont choisi cette option de découvrir la rhétorique dans ses origines culturelles et historiques et d’apporter d’utiles éclairages à cette dimension de nos programmes toujours valorisée, dans la tradition française.

1. Premières définitions

Argumentation et argument

Un argument permet de faire admettre une conclusion sur la base d’une relation qui n’est pas de nature logique (nous serions sinon dans l’ordre de la démonstration), mais de nature idéologique (ce qui relève de valeurs plus ou moins partagées). Un argument ne dispose pas d’une force en soi. Cette force varie selon les époques, selon les milieux sociaux, selon la nature et la position des locuteurs, selon les environnements intellectuels.

« La notion d’argumentation est envisagée comme une forme de discours qui vise à obtenir l’adhésion d’un auditeur ou d’un lecteur aux thèses qu’on présente à son assentiment. L’argumentation a donc pour but de modifier les savoirs, les croyances et les opinions d’autrui en essayant de démontrer, en s’efforçant de convaincre, en s’attachant à persuader. »

(Documents d’accompagnement, 2nde, p. 21)

« L’argumentation est ainsi une opération qui prend appui sur un énoncé assuré (accepté), l’argument, pour atteindre un énoncé moins assuré (moins acceptable), la conclusion. Argumenter, c’est adresser à un interlocuteur un argument un argument, c’est-à-dire une bonne raison, pour lui faire admettre une conclusion et l’inciter à adopter les comportements adéquats. »

Christian Plantin, 1996, p. 24)

« Argumenter revient à donner des raisons pour telle ou telle conclusion. Les raisons constituent, lorsqu’elles sont énoncées, autant d’arguments. Une argumentation consiste donc en une relation entre un ou des arguments et une conclusion. »

(Jacques Moeschler, 1985, p. 46)

« L’argumentation est toujours inscrite dans un contexte interpersonnel et dans une situation concrète (...). Les arguments ne son pas vrais ou faux, ce sont des raisons plus ou moins fortes pour ou contre une thèse proposée. Dès qu’il s’agit de raisonner sur des valeurs, touchant le bien ou le mal, la justice ou l’injustice, la liberté ou la contrainte, et bien d ‘autres enjeux de la vie collective et individuelle, le discours de l’argumentation s’efforce de justifier la préférence que l’on accorde à telle ou telle fin et que l’on cherche à faire partager. »

(Denis Bertrand, 1999, p. 15)

L’argumentation apparaît bien comme une visée, dans le cadre d’une interaction, d’un échange. L’argumentation va se réaliser en un discours dont la nature effective n’est pas arrêtée a priori, même si la tradition rhétorique la plus ancienne est là pour imposer ses représentations.

Existe-t-il des types de textes qui seraient par nature argumentatifs ?

En fait une visée argumentative peut se réaliser par le moyen d’une narration, d’une description (discours de nature figurative) ou d’une explication.

L’exemple de la dénonciation de l’entreprise coloniale

On peut ainsi comparer, s’agissant de la dénonciation de l’entreprise coloniale, le choix d’André Gide qui a préféré publier un journal de voyage, Voyage au Congo. Carnets de route, qui eut l’écho que l’on sait, à celui d’Aimé Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal, qui prend la forme d’un long poème qui veut tout à la fois porter témoignage et susciter une prise de conscience, ou encore à celui de Franz Fanon, en 1961, qui publie un violent pamphlet, Les Damnés de la terre.

Différences d’époque, de publics, d’auteurs. Mais une même entreprise : dénoncer. De même, les reportages du journaliste Albert Londres, dans les années 20, ne sont pas de simples descriptions ou narrations, mais des entreprises de dénonciation, avec Terres d’ébène, par exemple. La tradition rhétorique nous a légué la distinction entre discours judiciaire, discours délibératif, discours épidictique au travers de pratiques qui s’inscrivent dans l’ordre du politique, du judiciaire ou du religieux. Mais l’argumentation peut revêtir une gamme infiniment plus large de discours, dans les formes les plus variées.

Il n’existe pas de schéma commun à tous les textes argumentatifs

Un discours argumentatif peut ainsi se réaliser dans un texte qui offre certaines propriétés formelles, en confrontant des jugements de valeur ou en rapportant un événement significatif, mais propriétés qui ne sauraient avoir le caractère de stabilité du texte narratif ou descriptif, par exemple.

Et peut-être trouve-t-on là une autre des difficultés à enseigner l’argumentation écrite. Il n’existe pas de schéma prototypique commun à tous les textes argumentatifs, comme il existe un schéma commun, le fameux schéma narratif, (au prix de nombreuses simplifications il est vrai) aux différentes réalisations du texte narratif.

Le schéma de Stephen Toulmin (1993), auquel il est très souvent fait référence, ne correspond pas à un schéma textuel mais à une démarche d’argumentation. Schéma qui présente cet avantage de montrer que le passage de l’argument à la conclusion se fonde sur un certain nombre de principes, de normes de valeurs, qui ne sont pas toujours explicitées, mais qui justifient le passage à la conclusion (nous serions sinon dans un pur discours d’autorité).

Aussi importe-t-il, avec les élèves de toujours leur demander sur quelles règles d’inférence et sur quels supports ils fondent leur passage à la conclusion. Le débat argumentatif trouve son origine dans le fait que les supports d’inférence peuvent varier entre locuteurs. Selon que je considère que les gens doivent être protégés contre eux-mêmes ou qu’au contraire les gens doivent se prendre en charge (voir exemple ci-dessous), assumer leurs responsabilités, la conclusion ne sera pas la même. Selon les époques, selon les milieux sociaux et intellectuels les supports d’inférence ne seront pas les mêmes. Il importe que les élèves soient conduits, sur certains textes, à tenter de mettre à jour le support d’inférence sur lequel se fonde le passage à la conclusion (par exemple, lorsqu’il s’agit de dénoncer le travail des enfants à partir de poèmes de Victor Hugo ou le travail des enfants à partir de campagnes de l’Unicef, la dénonciation de la peine de mort dans Le Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo toujours ou dans le discours de Robert Badinter à l’Assemblée nationale).

L’objectif est donc bien d’apprendre aux élèves à identifier, derrière des réalisations textuelles variées, une démarche d’argumentation et, réciproquement, apprendre à traduire une démarche d’argumentation en réalisations textuelles variées selon les contraintes de la situation d’échange, la nature et la position des interlocuteurs.

2. Les conditions d’acquisition du discours argumentatif

Précisions sur la maîtrise des discours argumentatifs

Quelques précisions pour permettre d’y voir un peu plus clair dans un domaine, celui de la maîtrise des discours argumentatifs, qui commence à être mieux étudié, notamment pour tout ce qui se rapporte à la difficulté pour l’élève à produire une argumentation écrite (voir par exemple les travaux de Caroline Golder, 1976, 2003).

 1. Spontanément, tout élève sait prendre position dans un système classique opposant différentes valeurs :

  • d’un point de vue moral (juste/injuste, bien/mal, etc.)
  • d’un point de vue technique (utile/inutile, efficace/inefficace, réalisable/irréalisable, etc.)
  • d’un point de vue esthétique (beau/laid, etc.)
  • d’un point de vue de vérité (vrai/faux, etc.)
    en se limitant ici à quelques grandes catégories de jugement. Prendre position, si l’on s’en tient à ce seul aspect, se limite à une simple réaction.

 2. Dans une forme plus élaborée, la prise de position peut être accompagnée d’une justification. On donne des raisons, des arguments, à l’appui de sa prise de position. Mais ces raisons, ces arguments peuvent se rapporter à une expérience, à une préférence personnelles. Discours de nature essentiellement égocentrique, centré sur l’affirmation de soi, hors de toute recherche véritable d’un dialogue. Etre capable de gérer des arguments de portée plus générale constitue une étape nécessaire dans la maîtrise progressive de l’argumentation écrite.

 3. Argumenter, c’est non seulement donner des raisons, mais négocier cette justification par rapport à un interlocuteur dont les prises de position peuvent être différentes et considérées quelque part comme légitime, c’est admettre que sur une question donnée il puisse exister d’autres positions que la sienne propre. C’est donc être capable de se projeter hors de son système propre de références, d’évaluer la recevabilité des arguments que l’on se propose de présenter en fonction de son interlocuteur. Capacité à se décentrer pour reprendre ici une terminologie piagétienne. Dimension fondamentalement dialogique de l’acte d’argumentation qui trouve plus aisément son expression en situation d’échange oral qu’à l’écrit dans lequel l’absence physique d’interlocuteur peut faire perdre de vue à l’élève-scripteur cette dimension de l’échange argumenté. La maîtrise des capacités linguistiques à l’œuvre dans l’argumentation, si elle constitue une des conditions de réussite de la démarche argumentative, ne saurait cependant à elle seule fonder cette compétence. Il y faut aussi des capacités cognitives spécifiques.

 4. L’élève sera donc conduit à gérer des arguments différemment orientés (par rapport à la conclusion) et à signaler à son lecteur, par des marques spécifiques, l’orientation argumentative de ses énoncés.

Les quatre dimensions majeures dans l’argumentation

Autrement dit et pour faire court, quatre dimensions majeures dans l’argumentation :

prendre position + justifier/donner des raisons + sélectionner des arguments à portée plus générale + négocier avec un interlocuteur (effectif ou virtuel)

L’activité d’argumentation

Poursuivons l’exploration de l’activité d’argumentation.

 1. Argumenter, c’est tout à la fois gérer des arguments favorables à sa propre position et des arguments opposés (contre-arguments). D’où une grande complexité dans la gestion du texte argumentatif. Dans une production spontanée, non élaborée, l’élève transcrit les arguments au fur et à mesure qu’il les récupère en mémoire, sans mise en perspective particulière, selon une gestion au coup par coup qui engendre un effet de liste. Or argumenter, c’est aussi planifier, mettre en perspectives les arguments en fonction de la finalité assignée au texte, c’est être capable de convoquer des contre-arguments et de les réfuter.

 2. D’où des niveaux d’élaboration argumentative des textes très différents, niveaux qui se caractérisent :

  • par la prise en compte des positions du destinataire
  • par l’élaboration thématique des arguments en fonction de la visée (réorganisation des connaissances convoquées et non simple restitution d’une liste).
    On pourra ainsi considérer qu’il est plus habile, avec certains locuteurs, de fonder l’argumentation sur un discours de nature figurative (anecdote, fable, bref apologue, etc.), alors qu’auprès d’autres publics un discours proprement argumentatif sera considéré comme plus efficace.

 3. Enfin, dans une situation d’échange argumentatif, deux variables importantes ne doivent pas être omises :

  • la familiarité avec le destinataire, sa non connaissance pouvant engendrer chez le sujet énonciateur des attitudes de prudence dans l’expression d’une prise de position, favorisant le recours aux lieux communs, aux stéréotypes (cas de l’argumentation en milieu scolaire).
  • la familiarité avec le thème. Un thème familier engendre des textes argumentativement plus élaborés.

Enfin, rappelons, ce qui semble aller de soi, mais ne l’est pas toujours, que la problématique posée doit être perçue comme discutable par les élèves.

Que l’argumentation s’effectue à l’oral ou à l’écrit, elle reste de nature fondamentalement dialogique. Il n’existe d’argumentation que dans l’échange, que celui-ci soit réel, les interlocuteurs étant co-présents, ou virtuel, dans le cadre d’une argumentation écrite. Aussi importe-t-il d’engager dans les classes toutes sortes d’activités qui sensibilisent les élèves à cette dimension dialogique, depuis les situations d’échange oral (les dialogues de théâtre offrent de ce point de vue là de nombreuses occasions de montrer comment deux locuteurs s’engagent dans un échange argumentatif, Sganarelle et Géronte ou Sganarelle et Argan, par exemple) ou d’argumentations simulées (reconstitution d’un procès par exemple dans la classe), jusqu’à l’échange écrit dans lequel l’élève devra intérioriser cette logique d’échange et la rendre perceptible dans son texte. Le passage à l’argumentation écrite n’est concevable, pédagogiquement, que dans sa relation à une pratique orale préalable de cette même démarche.

3. Argumentation et dissertation

La dissertation, genre d’écrit scolaire présent aux E.A.F., mais aussi dans d’autres disciplines au baccalauréat, inclut bien évidemment une dimension argumentative, mais selon une approche qui la distingue de l’argumentation sociale ordinaire. On peut ainsi débattre de l’interdiction de télécharger des fichiers portant sur des œuvres musicales ou cinématographiques sur le Net. On s’inscrit ainsi dans un espace social d’argumentation associé à des conclusions d’ordre pratique (discours de type délibératif : faut-il/ne faut-il pas, etc. ou judiciaire, du type accuser/défendre, s’en prendre à l’industrie du disque ou stigmatiser l’irresponsabilité des internautes, etc.) dans lequel on prend place comme sujet individuel, « moi X, tel élève d’une classe de 3e », ou comme sujet social, « nous, les jeunes »). Disserter, en revanche, ne consiste pas à faire changer un interlocuteur d’avis sur une question donnée, mais à montrer que l’on est capable sur une problématique spécifique (littéraire, historique, économique, philosophique) de rassembler différents points de vue, souvent antithétiques, au-delà de ses préférences ou sensibilité personnelles (ce qui est en partie le cas de l’écriture de l’essai qui admet qu’une problématique trouve sa place dans l’expression d’une sensibilité personnelle). On écrit moins pour convaincre que pour montrer que l’on est capable d’approcher la vérité dans la diversité de ses états. On intervient comme sujet générique s’adressant à un interlocuteur générique. Disserter implique donc une mise à distance encore plus marquée de l’interlocuteur par rapport à son propos, au-delà de l’expression d’une sensibilité ou d’un goût personnel. Une activité d’ailleurs moins tournée vers l’autre que vers soi-même en vue d’organiser une réflexion, de l’approfondir, pour s’exercer, d’une certaine manière, à penser mieux.

Exemple de sujet (Série L, session 2003) :
Une œuvre inspirée ou adaptée d’une autre place le public dans une certaine attente, qui sera, selon le cas, satisfaite ou déçue. Préférez-vous retrouver dans une réécriture ce que vous connaissez déjà de l’œuvre originale ou vous laisser surprendre ?
Vous répondrez à cette question en un développement argumenté qui prendra appui sur les textes du corpus, ceux que vous avez étudié pendant l’année et vos lectures personnelles.

4. Argumenter, une compétence globale ?

Domaine de compétence scolaire et domaine de compétence extra-scolaire

Si la capacité à argumenter est en partage auprès de tous les individus, comme compétence sociale, acquise empiriquement dans le cadre de l’échange quotidien, les usages scolaires de l’argumentation en revanche s’inscrivent dans une sphère d’usage restreinte, faisant appel à des compétences qui résultent d’un apprentissage organisé plus que d’un transfert spontané d’une compétence extra-scolaire vers une compétence scolaire.

Le tableau ci-dessous regroupe de façon très sommaire les caractéristiques propres à chacun de ces deux domaines de compétence :

A
Argumentation sociale
Argumentation scolaire

Locuteur

- individuel
- familier

- générique

Enjeu

- pratique

- cognitif

Thème

- familier

- distant

Espace de relation

- concret

- abstrait

Mode d'échange

- oral conversationnel, dialogue

- écrit monologué

Régulation

- dans le cours de l'échange

- anticipée

Codes et conventions

- acquis dans la pratique quotidienne

- appris à l'école

Parcours permettant de passer à un régime argumentatif valorisé par l’école

Le parcours permettant à l’élève de passer à un autre régime argumentatif, celui qui est valorisé par l’école, peut, très schématiquement se représenter ainsi :

Composante
de
à

1. la situation d'échange

la prise en compte d'un espace physique d'échange, d'un espace social de référence familier.....

un espace abstrait, dans le cadre d'une relation impersonnelle

2. le sujet énonciateur

l'implication personnelle forte dans le discours

une mise à distance

3. objets et thèmes

un objet de discours à forte implication personnelle.....

un objet distant

4. décentration

la justification (sélectionner des arguments par rapport à soi).....

la négociation (sélectionner arguments et contre-arguments)

5. planification

l'addition d'argument.....

l'organisation d'un schéma argumentatif

6. affirmation

l'affirmation.....

la modalisation

7. étayage

l'expression de valeurs, d'intérêts personnels.....

l'expression de valeurs générales

8. stratégies

une démarche uniforme.....

des démarches variées, adaptées aux interlocuteurs

L’appropriation par les élèves du discours d’argumentation

L’appropriation par les élèves du discours d’argumentation, si elle peut passer par le repérage de pratiques argumentatives au fil des œuvres lues, de textes étudiés, doit aussi se fonder sur l’effort entrepris par les élèves pour se situer dans une interaction à finalité argumentative et non se limiter à la simple confrontation de points de vue antithétiques.

Argumenter à l’écrit demande que le scripteur sorte de son point de vue propre se projette dans celui de son lecteur potentiel. L’importance des calculs à entreprendre (quelles sont les positions supposées de mon lecteur ? sur quels arguments se fondent-elles ? quelle stratégie adopter pour l’amener à changer d’avis ? etc.), avant même de se mettre à écrire, implique que l’élève dispose déjà de cette expérience acquise dans l’échange oral, qu’il puisse justifier ses choix stratégiques, ses démarches, la sélection des arguments en fonction de son interlocuteur.

L’âge des élèves semble jouer dans cette perspective un rôle important. Caroline Golder (1996, p. 188) propose de distinguer les étapes suivantes :

  • au départ (10 ans), le discours [argumentatif en situation écrite] serait composé d’une suite d’arguments (d’abord juxtaposés puis connectés)
  • il serait ensuite, vers 14 ans, contre-argumentatif, mais encore trop « contraint » par la pensée du locuteur pour être véritablement dialogique (le locuteur sait qu’il doit tenir compte des arguments opposés mais ne parvient pas à envisager ce qu’il dit de « l’extérieur »)
  • enfin, vers 16-17 ans, le « contrôle extérieur » de la construction du texte permettrait d’élaborer le discours sous une forme intégrée dans suivre une organisation du type argument-contra-argument-argument-contre-argument.

5. L’argumentation écrite au collège

Une approche progressive

6e

5e

4e

3e

-          identification des passages argumentatifs dans un récit

-          expression orale d'un point de vue argumenté

-          image et argumentation (publicité, affiche)

-          dialogue et argumentation : qui argumente, pour qui, avec quels objectifs ?

-          organisation d'un débat : l'échange des arguments

-          approche des textes centrés sur l'argumentation (critiques de films, articles polémiques simples)

-          production d'un article

-          organisation d'une argumentation simple : thèse, arguments, exemples

-          ajustement de l'argumentation à celui que l'on désire convaincre (écrire et réécrire un texte pour deux destinataires différents)

(Accompagnement des programmes 5e-4e, p. 91)

Dès la classe de 6e, l’élève est confronté à des formes d’écrit dans lequel prévaut une logique argumentative (fable, conte, dans lesquels la forme du récit est subordonnée à une morale, explicitée ou non), en 5e à la lecture des fabliaux, ou de certains épisodes du Roman de Renart qui mettent en scène des personnages qui tentent de se tromper mutuellement, le fabliau lui-même s’inscrivant dans une visée plus largement argumentative.

Les classes de 4e et de 3e occupent une place importante dans un parcours d’accès à la maîtrise de l’argumentation écrite et ceci pour deux raisons :

  • d’un point de vue institutionnel, ces classes marquent la fin du collège et le passage progressif (mais non exclusif depuis l’introduction de l’écriture d’invention) d’un discours de nature figurative (narration d’événements vécus ou fictifs) à un discours non-figuratif de nature explicative (le futur commentaire de texte) et argumentative (la dissertation littéraire) qui va occuper l’essentiel de l’espace pédagogique au lycée.
  • d’un point de vue cognitif, ces deux classes constituent le moment où les élèves peuvent entrer, très progressivement, dans un processus de négociation, c’est-à-dire être capable de prendre en compte les positions de son interlocuteur.

Activités autour de trois domaines thématiques

Il serait donc intéressant d’explorer toutes les formes d’activités qui habitueront les élèves à circuler sur la totalité du continuum énonciatif, en s’exprimant, selon les nécessités de l’échange, comme sujet individuel, à un autre moment comme sujet social, à un autre moment encore comme sujet générique, en apprenant de la sorte à faire usage des ressources de la langue, selon le degré d’implication ou de mise à distance.

Trois domaines thématiques peuvent être envisagés en fonction du degré de familiarité ou de distance qui est le leur par rapport à l’expérience du monde des élèves :

1. Expérience sociale personnelle, en relation à un interlocuteur spécifique

2. Expérience sociale générale, en relation à un interlocuteur générique

3. Aspects culturels et littéraires, en relation à un interlocuteur générique

(par exemple)

. choisir son orientation

. sortir le samedi soir

. s'engager dans une association

. etc.

(par exemple)

. la peine de mort

. la violence

. le travail des enfants

. les fichiers MP 3

. maintenir ou non les distributeurs automatiques d'aliments ou de boissons dans les collèges

etc.

(par exemple)

. porter un jugement sur le personnage de Thérèse Raquin

. Inconnu à cette adresse ; la forme épistolaire est-elle d'une lecture plus aisées ?

. les descriptions dans le roman, ennuyeuses ou nécessaires ?

etc.

Remarque :
On observera cependant que dans les enseignements scientifiques, le mot « argumentation » désigne les opérations de raisonnement (souvent sous forme de raisonnement déductif) par lesquelles l’élève est conduit à justifier ou à prouver la recevabilité de sa conclusion. Il argumente au sens où il apporte des arguments, sous forme de preuves contraignantes, à l’appui de sa conclusion, arguments qui ici s’inscrivent dans un cadre d’analyse qui s’impose à tous les locuteurs et tel qu’il est fondé dans un univers de savoir donné. Voir par exemple les activités présentées par le GEP Physique-Chimie de l’académie de Versailles :

http://www.ac-versailles.fr/pedagogi/physique-chimie/

6. Activités

On peut envisager deux grandes formes d’activités préparant à la maîtrise de l’échange/discours argumentatif. D’une part des activités de simulation dans lesquelles on « joue » à argumenter à partir de places et des rôles préalablement définis, par exemple la situation de procès (procès d’un personnage pris dans une œuvre étudiée), une controverse, à la manière de la Controverse de Valladolid qui fut fort en usage dans les collèges et lycées il y a quelques années de cela, un débat sur le modèle de ceux organisés par les médias. Ces activités familiariseront l’élève avec la notion de situation argumentative, d’interaction, elles obligeront les interlocuteurs à articuler leurs propos sur l’intervention précédente. Compétence que l’élève va progressivement s’approprier à l’oral et qu’il s’efforcera de transférer à l’écrit (qui ? écrit à qui ? selon quelle visée ? à partir de quelles positions préalables ? selon quelle stratégie ? etc.).

Mais on peut tout aussi bien envisager des exercices plus contraints, sortes de gammes argumentatives, qui permettront de travailler de façon plus délibérée sur la dimension logique de l’échange. Par exemple :

1) La dimension dialogique de l’argumentation

 Présenter une objection

  • l’élève A présente un point de vue
  • l’élève B sous lève une objection tout en concédant : OUI, MAIS

 Approuver avec réserve

  • l’élève A présente un point de vue
  • l’élève B approuve, sous réserve : OUI, A CONDITION QUE

 S’opposer, sous condition

  • l’élève A présente un point de vue
  • l’élève B s’oppose : NON, SAUF SI / A MOINS QUE

 S’opposer de façon définitive

  • l’élève A présente un point de vue
  • l’élève B s’oppose absolument : NON
  • l’élève A concède : OUI, MAIS
  • l’élève B renchérit dans son opposition : NON ET MEME SI, NON QUAND MEME

 Récriture du dialogue en un texte continu pris en charge par B. Objectif, obliger B à prendre en compte le point de vue de A.

2) Les exercices de type « alpha-omega »

Objectif : Apprendre aux élèves à passer d’un point de vue à son opposé par le moyen de transitions fondées sur l’usage approprié d’arguments antiorientés.

Alpha (assertion)

Télécharger des fichiers sans payer, c'est quand même bien commode.

Car Alpha + (argument à l'appui)

En plus, on choisit les films ou les morceaux de musique que l'on aime.

Mais Alpha - (argument antiorienté)

Mais les chanteurs, les producteurs ne touchent rien.

Alors même si Omega - (argument opposé)

Payer n'est certainement pas agréable. On est bien d'accord là-dessus.

Toutefois Omega + (argument à l'appui)

Mais de la sorte, les artistes pourront continuer à travailler.

Donc Omega (assertion opposée)

Mieux vaut payer dans ces conditions ce que l'on a plaisir à écouter ou à voir.

On trouvera à l’adresse suivante :
http://icar.univ-lyon2.fr/

une gamme très large d’activités, s’adressant plutôt à des publics d’adultes ou à des publics de lycée, mais qui pour certaines d’entre elles peuvent être transposées au niveau de la classe de 3e et qui portent sur la maîtrise du discours argumenté.

3) Deux démarches complémentaires : parler pour écrire, lire pour écrire

Comme nous venons de la voir, très rapidement, deux démarches concomitantes peuvent être envisagées :
 parler pour écrire, de façon à ce que l’élève puisse intégrer progressivement l’ensemble des paramètres qui organisent une situation d’échange argumentatif.
 lire pour écrire, de façon à mettre les élèves en contact avec des réalisations textuelles particulières (contes, fables, apologues, scènes de théâtre, campagnes de presse, essais, etc.) qui pourront servir de référence, de modèle, tout discours argumentatif s’inscrivant dans une rhétorique particulière portant les marques d’une culture donnée.

La lecture de textes argumentatifs ne se limitera donc pas à la recherche des arguments utilisés, mais à la restitution du cadre d’interaction, en mettant notamment l’accent sur la figure du destinataire, du lecteur potentiel, dans lequel le texte prend place et dans la recherche du lien qui peut unir les caractéristiques de ce cadre avec les formes d’écriture adoptées.

Bibliographie

La bibliographie se rapportant à la rhétorique et à l’argumentation est particulièrement abondante. Voir sur La Page des lettres :

Bibliographie pour le lycée

N’ont été retenus ici que les titres qui pouvaient porter de façon plus directe sur les conditions d’acquisition de cette compétence et sa place dans les programmes de français.

 Amossy Ruth, L’Argumentation dans le discours. Discours politique, littérature d’idées, fiction, Nathan-Université, 2000
 Bertrand Denis, Parler pour convaincre. Rhétorique et discours, Gallimard Education, 1999
 Boissinot Alain, « Argumentation et littérature », L’Ecole des Lettres, 7, 1999-2000
 Doury Marianne, Moirand Sophie (dir.), L’Argumentation aujourd’hui. Positions théoriques en confrontation, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2004
 Moeschler Jacques, Argumentation et conversation. Eléments pour une analyse pragmatique du discours, Hatier-Credif, 1985
 Golder Caroline, Le Développement des discours argumentatifs, Delachaux et Niestlé, 1996
 Golder Caroline, Favart Monique, « Argumenter c’est difficile..., oui, mais pourquoi ? », Etudes de linguistique appliquée, 130, avril-juin 2003
 Plantin Christian, L’Argumentation, Le Seuil, Mémo, 1996
 Toulmin Stephen, Les usages de l’argumentation, Paris, PUF, 1993 (trad.)

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