Si c’est un homme, un récit autobiographique ?

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Des éléments de biographie

Levi reprend dans Si c’est un homme un certain nombre d’événements qui ont marqué le temps de la déportation.

Les événements historiques qui ont jalonné, ou plutôt qui bornent l’année de déportation

 l’arrestation : « J’avais été fait prisonnier par la Milice fasciste le 13 décembre 1943 » (p. 11).
 l’arrivée à Fossoli : « Lors de mon arrivée, fin janvier 1944... » (p. 12).
 l’inspection des allemands au camp de Fossoli le 20 février (p. 13).
 l’annonce de la déportation à Auschwitz : « Mais le 21 au matin, on apprit que les juifs partiraient le lendemain » (p.13).
 mois d’août 1944 : les bombardements sur la Haute-Silésie : « Mais au mois d’août 1944, les bombardements commencèrent sur la Haute-Silésie et se poursuivirent par à-coups pendant tout l’été et l’automne, jusqu’à la crise définitive » (p.125).
 17 janvier 1945 : départ pour la marche d’évacuation.
 cf. les annales qui concluent Si c’est un homme.

Les événements qui ont marqué la vie du Lager

 la veillée funéraire avant le départ (p. 13-14). Elle préfigure en effet de ce que sera le Lager et par la-même en participe.
 le rituel d’intégration au camp (ch. 2).
 la sélection d’octobre 44 (ch. 13).
 la pendaison (ch. 16 Le dernier).
 l’abandon du camp : les dix derniers jours (ch. 17).

Les épisodes de la vie de Primo Levi au Lager

Sont retenus les événements qui ont touché Levi et qui, de ce fait, occupent une place privilégiée dans la narration. Il est à remarquer qu’ils sont attachés à une des figures qui peuplent Si c’est un homme.

 l’accueil de Schlome.
 la leçon de Steinlauf.
 les moments d’échange avec Pikolo pendant la corvée de soupe.
 l’aide apportée par Lorenzo.
 l’« organisation » avec Alberto.
 la lutte pour la survie dans les dix derniers jours avec Charles et Arthur.

Le vécu au Lager

En s’appuyant sur ce qu’il a vécu, Primo Levi brosse un tableau assez complet du Lager, par petites touches.

 Il rend compte des « cérémonies » et rituels qui rythment la vie du Lager : le réveil « wstawac », la distribution du pain, la bourse, le rassemblement sur la place, la sélection « selekja ».
 Il décrit le mode de vie du Lager : la nécessité de comprendre l’allemand, la nécessité d’« organiser » pour assurer sa survie.
 Il traduit notamment par son écriture ce qui, à son sens, caractérise le Lager : la répétition sans fin des jours, avec le même rituel immuablement répété (cf. l’utilisation du présent), le silence [« un silence d’aquarium » (p.18) juge Levi à son arrivée sur le quai d’Auschwitz ; de fait, le lecteur a le sentiment d’assister à un ballet muet. « Ruhe », lui intime-t-on lors de son intégration au block 30. (p.39)].

Un autoportrait

Au fil des pages se construit un autoportrait sans concession. Primo Levi porte sur lui un regard distancié, teinté d’une ironie légère ; le système narratif accentue la distance, puisque temps de narration et temps de l’écriture, qui coïncident, sont postérieurs au temps du narré et que, par suite, Levi porte sur lui-même et sur ses réactions d’alors un regard critique.

Levi porte sur lui un regard sans concession

Levi donne de lui l’image d’un homme vivant en dehors de la réalité concrète : cf. p.11 « une propension marquée (...) à vivre dans un monde quasi irréel ».

A l’instar de son père, il n’a pas, jusqu’au seuil d’Auschwitz, eu des prises de position politiques marquées. « Je cultivais à part moi un sentiment de révolte abstrait et modéré » (p.11). Cela nous renvoie à l’attitude de son propre père qui réprouvait le fascisme, plus parce qu’il en jugeait le décorum ridicule que par conviction politique affirmée.

Il présente du reste son engagement dans la résistance comme une décision difficile qu’il a prise en hésitant - « Ce n’était pas sans mal que je m’étais décidé à choisir la route de la montagne » -, sans peser véritablement l’ampleur de la tâche (cf. les effets de modalisation : dans mon esprit, ce qui (...) était censé (cf. p.11 §2).

Avant Auschwitz, Levi se présente comme un jeune homme naïf : « A cette époque on ne m’avait pas encore enseigné... » (p.12) et (p.11) « J’avais vingt-quatre ans, peu de jugement... » ; il oppose à sa naïveté d’antan le pragmatisme presque machiavélique qui va lui être inculqué par la force des choses (p.12). Il atteste son innocence en soulignant son erreur de jugement qui le conduisit à se déclarer comme juif lors de son arrestation cf. la parenthèse p.12 « A tort, comme je le vis par la suite ». Il revient sur sa naïveté en faisant mention du tour dont il a été victime (p.28).

Il montre sans fard la déchéance dans laquelle il est tombé, conformément au système en place (cf. p.41) : « Je dois l’avouer : au bout d’une semaine de captivité, le sens de la propreté m’a complètement abandonné ». Il traduit le sentiment qui l’habitait alors par un discours indirect libre (p.41-42). Le lecteur devient alors le témoin premier de ce monologue intérieur.

Il se montre également avide de relations humaines (cf. par ex. ce qu’il dit d’Alberto p.61). Ces contacts l’ont soutenu et lui ont permis de rester humain. De fait, les souvenirs les plus intenses sont tous attachés à une personne. Et, lorsqu’au printemps, Levi semble se réveiller doucement d’une sorte de léthargie abêtissante, les souvenirs de relations humaines se multiplient.

Levi se distingue par le regard attentif qu’il porte à ses compagnons d’infortune

Levi se distingue parallèlement par le regard attentif qu’il porte à ses compagnons d’infortune. En témoigne la description qu’il nous fait de ses compagnons lors de la veillée funèbre (p.14) ou lors de l’arrivée sur le quai à Auschwitz (p.18).

Peut ainsi s’expliquer le mensonge qu’il fait à Kraus (ch.14).

Primo Levi se révèle ainsi profondément humain. Par suite, son reproche le plus virulent contre le Lager est qu’il repose sur un processus de déshumanisation.

Levi se distingue également par le regard qu’il porte sur le Lager : un regard qui se veut descriptif et objectif.

Mais, de par son écriture, dense, il nous en offre une image concentrée (cf. p35). Son regard se teinte ainsi d’une ironie légère. (cf. aussi par ex. description du rituel au K.B. p.49).

Conclusion

Finalement, Si c’est un homme peut être lu comme le monologue intérieur d’une âme qui réfléchit ce qu’elle a vécu, qui se réfléchit.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)