Dezsö Kosztolányi, « Le traducteur cleptomane »

, par Gaëlle Chauvineau

travail proposé par Erzsébet Vizy

Pourquoi faire lire cette nouvelle en seconde ?

  l’œuvre d’un grand auteur étranger.
  un texte complet en environ 2000 mots.
  pas de difficulté de langue : traduction d’une nouvelle hongroise du début du XXème siècle.
  le contexte historique ou culturel (Hongrie du début du XXème siècle) ne présente aucun obstacle.
  un sujet inattendu (humour + effet de surprise)
  un texte qui permet de croiser plusieurs objets d’étude (Ecrire, publier, lire ; le travail de l’écriture ; le récit).

Intérêt pour l’élève ?

Nouvelle qui fait réfléchir :
- aux relations qu’entretient la littérature avec le monde (le jugement moral est-il porté sur le cleptomane ou sur l’écrivain ?...).
  à la posture de l’écrivain et du lecteur (Que fait le traducteur, une translation d’une langue à une autre ou une interprétation de l’œuvre ? Que fait, plus généralement, l’auteur ? Que fait le lecteur, s’immerge-t-il dans la fiction ou établit-il une distance critique avec l’œuvre ?)
  à la qualité des œuvres littéraires (littérature de qualité / médiocre ; pratiques diverses d’écriture (littéraire / alimentaire) ; lectures diverses (pratique privée, « honteuse » ? / pratique scolaire, recommandée…).
  à la démarche d’analyse du texte : elle propose une démarche herméneutique à l’aide de la métaphore de l’enquête policière entreprise par Kornél Esti. (cf. Carlo Ginzburg)

Etude de l’oeuvre

Entrée dans la lecture par le titre déroutant

Seul le titre est donné, comme annonce de la lecture à venir.
  sens de « cleptomane » à éclaircir
  significations de « traducteur » à chercher
  problème de la relation entre les deux termes : l’adjectif épithète a-t-il une valeur de caractérisation ou d’identification ?

Formulation d’hypothèses de lecture :

un traducteur qui est obligé de voler pour subsister / un repris de justice qui gagne sa vie en traduisant des livres…

Réflexion sur les titres des œuvres lues : lesquels attirent /rebutent le lecteur ; qu’attendent les élèves d’un titre ? Mise en évidence du rôle fondamental du titre dans la relation du lecteur avec le texte : processus de lecture engagé par une absence de savoir et simultanément une possibilité d’y remédier. Mise en place de la notion d’horizon d’attente.

Prolongement possible :

recherche dans des catalogues d’éditeurs, ou plus simplement dans la table des matières du manuel de littérature, de titres qui « accrochent », surprennent, rebutent, choquent, agacent…, recherche accompagnée de la formulation d’une justification.

Première séance de lecture, en classe

Lecture orale de la nouvelle du début jusqu’à la ligne 113 : « C’était autre chose qui clochait. Tout autre chose. »

Vérification des hypothèses formulées à la séance précédente : construction du personnage (nom, qualités et défaut…)
Observation de la structure : emboîtement des récits
Fonctions du second narrateur : assume son rôle de narrateur (l.17 à 20 : histoire vécue → roman policier palpitant) ; maintient la communication avec ses destinataires (et le lecteur) : défi lancé à la l. 111, « Ne cherchez plus. » ; exprime émotion et jugement sur le personnage ; organise le récit et crée l’effet d’attente ; introduit un commentaire à portée générale sur l’usage des mots (l. 52 à 57).

Chaque élève est finalement invité à écrire en quelques phrases comment il imagine l’histoire policière annoncée.

Distribution de la fin du texte.

Lecture intégrale de la nouvelle, à la maison

Echange oral en classe : relecture des propositions de la séance précédente et confrontation avec la nouvelle ; commentaires : déception, surprise, parfois heureuse…
Interrogations des élèves : le narrateur a-t-il menti ? nous a-t-il abusés ? est-il possible de voler des mots ? la chute est-elle satisfaisante ? (le plus souvent les élèves reprochent au narrateur sa dureté, son insensibilité envers la maladie du traducteur)

Réflexion sur le rapport qu’entretient la fiction avec le réel :
 pouvoir de la lecture de transporter le lecteur dans un univers imaginaire ; derrière l’expérience de Gallus qui ne peut s’empêcher de voler des biens irréels, c’est par assimilation l’attitude de tout lecteur, qui se laisse happer par l’univers de la fiction, qui s’identifie aux personnages, qui est suggérée.
 pouvoir des mots qui font prendre pour réalité ce qui est fiction : c’est le narrateur qui transforme l’histoire en enquête policière ; le commentaire des l. 52 à 57 nous mettait pourtant en garde en rappelant le poids des mots. Donc, nécessaire déplacement du problème pour évaluer la chute : le narrateur est en train de porter un jugement sur le travail de traducteur et d’écrivain de son collègue.

Réflexions sur l’écriture et la littérature :

  leur pouvoir de compensation pour le cleptomane qui essaie de s’amender.
  jugement sans appel énoncé à la fin de la nouvelle qui peut être compris comme la réaction d’un écrivain lorsque l’honneur de sa profession est en jeu ; le travail de l’écrivain serait donc placé plus haut que toutes les autres activités ?( on peut pardonner la malhonnêteté sauf quand elle touche le domaine de la littérature !)
  et pourtant les qualités d’écrivain de Gallus ne sont pas mises en doute dans la nouvelle, alors même que le manuscrit qu’il doit traduire est qualifié de mauvais : l’infidélité au texte à traduire ne serait-elle pas paradoxalement le moyen de « sauver » un mauvais roman policier ? (retour aux différentes significations de « traducteur »)
  identification à partir des quelques éléments fournis par le texte des lieux communs du roman policier ; que penser du jugement du narrateur ? l’énumération des vols en constitue une justification (accumulation des clichés) :
  la nouvelle pourrait être alors comprise comme une invitation humoristique (fausse indignation du narrateur à la fin ?…) à dépasser les lectures « faciles », et l’identification à la fiction qu’elles entraînent (ici, l’apitoiement sur le sort de Gallus, par exemple) pour entreprendre un travail d’élucidation du texte, sur le modèle de l’enquête (et découvrir la portée symbolique de la nouvelle)…

Prolongements

Ecriture d’un compte rendu des séances de travail :
  sous la forme d’un compte rendu d’une enquête visant à découvrir la nouvelle et sa/ses signification(s)
  adaptation de la première phrase de la nouvelle : « Nous parlions d’écrivains… »
  humour, si possible !

Autre travail d’écriture expérimenté également :
Ecriture de la notice de présentation du roman anglais Le mystérieux château du comte Vitsislav :
  libre ajout d’éléments manquants à condition de veiller à la cohérence du récit.
  mise en évidence des lieux communs du genre policier.
  options : écriture d’une quatrième de couverture ; nécessité de ménager l’intérêt du lecteur
écriture d’un article de critique littéraire ; expression d’un jugement argumenté.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)