Impliquer l’élève dans la lecture, du choix des textes à leur interprétation.

, par JOUANNE Lucie

INTRODUCTION

Dans le cadre de la préparation à l’oral du bac de français, les élèves peuvent parfois se montrer passifs. Ils semblent attendre de la part du professeur une sorte de prêt-à-penser qui leur permettrait de réussir un exposé oral qu’ils n’auraient qu’à mémoriser, sans s’impliquer réellement dans la démarche d’analyse et d’interprétation du texte.

Contexte

Pour étudier « Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours », une classe de 32 élèves de première ES est engagée dans une séquence intitulée « Le personnage de roman au combat ». Un premier texte, choisi par le professeur et tiré de La Chartreuse de Parme de Stendhal, est étudié en classe sous forme de lecture analytique. Au cours de cette séance de deux heures, les élèves se montrent particulièrement passifs et on ne parvient pas à les emmener dans une démarche de construction du sens du texte.

Questionnements et enjeux

Le manque d’engagement de la classe pourrait tout d’abord être lié au fait que le professeur impose ses textes aux élèves. A l’inverse, donner aux élèves la liberté de choisir eux-mêmes leurs textes pourrait être stimulant. Aussi Agathe Mezzadri dans sa Communication pour le huitième rendez-vous des lettres nous propose-t-elle de placer l’élève « en situation de chercheur intéressé par des textes à choisir, plutôt qu’enjoint à trouver intéressants des textes déjà choisis. »
En outre, l’élève sait bien que le professeur a préparé en amont du cours une « lecture experte » du texte, qu’il finira par livrer d’une manière ou d’une autre. On se demande si cette façon de procéder n’induit pas la posture quelque peu attentiste des élèves.
Jean-Charles Cailliez, dans La classe inversée, pose ces questions : comment faire passer les élèves « de l’état de consommateurs à celui de constructeurs du savoir » ? Et dans le même temps, comment le professeur peut-il passer de la « production et de la livraison du cours à la direction des opérations » ?
Ces questionnements ont conduit le professeur à proposer à ses élèves une autre manière de poursuivre le travail engagé dans cette séquence.

PRÉSENTATION DE L’EXPÉRIMENTATION

Première étape : Choisir ses textes

Pour la séance suivante, le professeur prépare un corpus de six textes sur le thème du « personnage de roman au combat ». En classe, les élèves sont invités à les lire silencieusement. Ils doivent ensuite, individuellement, sélectionner les deux textes qui compléteront leur corpus de lectures analytiques pour cette séquence. Par écrit, sur feuille, ils doivent indiquer et justifier leurs choix. Ce travail, ramassé par le professeur, permet de constituer des groupes de travail pour l’élaboration future des lectures analytiques.

Qu’est-ce qui a pu guider leur choix ? Bilan des travaux collectés.
  • Les élèves ont parfois fait des choix par défaut, en éliminant certains textes jugés trop difficiles à comprendre (l’extrait de La Route des Flandres n’a été choisi que quatre fois) ou trop longs (le passage de quarante lignes de La Débâcle a été sélectionné par deux élèves seulement).
  • La plupart du temps, les élèves ont néanmoins choisi des textes auxquels ils adhéraient spontanément, en raison de leur actualité (l’extrait d’Au Revoir là-haut a été retenu dix fois, notamment par des élèves qui avaient vu le film au cinéma ou qui étaient heureux d’étudier un texte très contemporain) ou de leur originalité (Les élèves ont été intrigués par les héros des Fourmis et du Voyage au bout de la nuit, qu’ils ont jugés « décalés ». Les textes de Vian et Céline ont donc été pris quinze et dix-neuf fois.)
  • Certains élèves se sont enfin montrés stratégiques : l’extrait de L’Education sentimentale a été choisi dix fois par ceux qui ont supposé que « sur un texte de Flaubert, il y aurait beaucoup à dire ».

Deuxième étape : Donner ses impressions sur le texte

On invite ici les élèves à faire part de leur lecture subjective des textes choisis. Pour cela, on programme une heure en salle informatique.
Le recours au blog permet ici de récolter les impressions de lecture des élèves et d’initier entre eux les premiers échanges qui permettront plus tard d’aboutir à un débat interprétatif sur les textes (voir à ce propos l’article de Daphné Jacamon, « Renouveler son approche de la lecture analytique grâce aux échanges en ligne »).
La même consigne, présentée ci-dessous, est donnée pour chacun des 6 textes. Les élèves doivent y répondre pour les deux textes qu’ils ont retenus.

Ils répondent à cette consigne en postant des « commentaires ». A ce stade, on n’intervient pas dans les remarques des élèves et on consent « à accueillir, voire à encourager, les lectures effectives des élèves, c’est-à-dire des lectures marquées par les « réactions personnelles, partielles et partiales, entachées d’erreurs et embrouillées par le jeu multiple des connotations » », comme le suggère Anne Vibert dans Faire place au sujet lecteur en classe.

Ci-dessous, les premières impressions concernant un extrait de Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline.

Ici, les premières impressions sur le début des Fourmis de Boris Vian.

Troisième étape : Analyser et interpréter

La classe est disposée en îlots et les élèves, en deux heures, doivent construire le plan détaillé d’une lecture analytique pour l’un des deux textes choisis.
Pour chaque texte on pose la même question, qui correspond à la problématique de la séquence : « Comment le personnage de roman est-il présenté sur le champ de bataille et pourquoi ? »
On met à leur disposition toutes les impressions de lecture qui ont été données sur chacun des textes, préalablement imprimées. Il s’agit donc de partir des « lectures subjectives » des élèves pour entrer dans la « lecture littéraire », par le biais d’un débat interprétatif entre pairs. Chaque groupe de travail construit ainsi un parcours de lecture pour son texte.
Cette séance est proposée de nouveau la semaine suivante aux élèves, afin qu’ils puissent travailler de la même manière le deuxième texte choisi.

Quatrième étape : Rédiger

En salle informatique, on propose aux élèves de rédiger les axes de leurs commentaires à partir des notes qu’ils ont prises lors du travail de groupe.
Le recours au blog permet ici aux élèves de mutualiser leurs travaux sur les textes. En effet, d’un groupe à l’autre, les éléments d’analyse et les propositions d’interprétation peuvent différer. Chaque élève, à la lecture des « commentaires numériques » postés par ses camarades, pourra en définitive construire un parcours de lecture personnel pour le texte qu’il a choisi.

Ci-dessous, des paragraphes de commentaire pour le texte de L.-F. Céline :

Ici, des paragraphes de commentaire pour celui de B. Vian :

Ces échanges d’analyses et d’interprétations ont permis aux élèves, par un regard croisé, de corriger d’eux-mêmes certains contresens qu’ils avaient pu faire sur les textes. En outre, la « modération des commentaires » du blog a permis au professeur de signaler les éventuelles erreurs ou déviances.

Cette séance a également été réalisée une seconde fois, pour le deuxième texte choisi.

Prolongement : Pratiquer l’oral

Pour entraîner les élèves à l’exposé oral des E.A.F., une séance d’accompagnement personnalisé est prévue pour chacun des six textes proposés. C’est l’occasion pour un élève de présenter sa lecture analytique. Les autres, qui ont travaillé sur le même texte, peuvent ensuite enrichir les propositions d’analyse et d’interprétation de leur camarade ou amender les leurs. Le professeur donne éventuellement des compléments ou des ajustements.

BILAN

Difficultés rencontrées

La salle informatique étant équipée de dix-huit postes seulement, il a été impossible de faire travailler les élèves individuellement dans les étapes n°2 et n°4. C’est en binôme qu’ils ont donné leurs premières impressions sur les textes et rédigé les parties de commentaire.

Retour d’expérimentation

Du côté des élèves :

A la fin de ce travail, un questionnaire a été soumis aux élèves, auquel ils ont répondu de façon anonyme. Il y apparaît que le fait de choisir eux-mêmes les textes qui seraient présentés au bac leur a semblé, pour la plupart, à la fois déstabilisant et stimulant. Réaliser en groupe les lectures analytiques leur a paru assez difficile mais néanmoins intéressant et relativement productif. Ci-dessous, quelques remarques relevées dans les questionnaires :

  • « le fait d’avoir le choix est mieux car on peut choisir le texte qui nous plaît et qui a le plus de matière » (sic).
  • « ça peut paraître plus compliqué mais ça nous permet aussi de réfléchir de façon autonome » (sic).
  • « Trouver par soi-même les interprétations et les analyses est difficile, comparé à la façon précédente de faire » (sic).
  • « C’est parfois difficile car on a souvent pas la même vision, la même interprétation. On a du mal à s’entendre. » (sic)
  • « J’ai énormément de mal à faire les analyses mais le fait d’échanger les idées de chacun était intéressant » (sic)
Du côté du professeur :

Le niveau des élèves de cette classe était très hétérogène, ce qui a pu constituer un atout pour les travaux de groupes.
L’expérimentation a été menée au mois de mars, alors que les élèves avaient compris dans l’ensemble les principes et les enjeux de la lecture analytique.

Conclusion

Le travail qui a été engagé avec cette classe a permis au professeur d’envisager d’une manière nouvelle la pratique de la lecture analytique. Il lui a permis de faire une place réelle à la parole et à la pensée de l’élève, dans le choix, l’analyse et l’interprétation des textes, « de provoquer un investissement subjectif, intellectuel et émotif des élèves et surtout de (re)créer un « rapport heureux à la lecture et à la littérature », selon les mots d’Anne Vibert.

BIBLIOGRAPHIE

  • Agathe Mezzadri, Proposition de communication pour le huitième rendez-vous des lettres (14-15 mai 2018). Pour des élèves-chercheurs aux points de vue libres face aux textes : Une séquence de recherche sur la jalousie en littérature.
  • Jean Charles Cailiez, La Classe renversée – L’innovation pédagogique par le changement de posture, Ellipses, 2017.
  • Anne Vibert, Faire place au sujet lecteur en classe : quelles voies pour renouveler les approches de la lecture analytique au collège et au lycée, intervention en séminaire national, mars 2011, publication sur Eduscol, novembre 2013.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)